Helge Kåre Fauskanger traduit de l’anglais par Damien Bador en 2009 |
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Articles théoriques : La maîtrise globale des écrits de J.R.R. Tolkien est nécessaire pour bien saisir la portée des articles de cette catégorie, les sujets étant analysés de façon poussée par leurs auteurs. |
es Valar avaient inventé leur propre langue, sans nul doute la plus ancienne de toutes les langues d’Arda. Ils n’avaient pas besoin d’une langue parlé ; ils étaient des esprits angéliques et pouvaient aisément communiquer par télépathie. Mais comme le dit l’Ainulindalë, « les Valar eux-mêmes prirent forme et teinte » lorsqu’ils entrèrent Eä au commencement du Temps. Ils s’auto-incarnèrent. « La création d’une lambe [langue] est la caractéristique première d’un Incarné, » observa Pengolodh, le sage de Gondolin. « Les Valar, s’étant revêtus de cette manière, auraient inévitablement créés une lambe pour eux-mêmes au cours de leur long séjour en Arda. »1) Il ne fait aucun doute qu’il en fut effectivement ainsi, car il existait des références à la langue des Valar dans le savoir ancien des Ñoldor.
Lorsque les Eldar arrivèrent en Valinor, les Valar et les Maiar adoptèrent rapidement le quenya et l’utilisèrent même parfois entre eux. Pourtant, le valarin ne fut en aucun cas remplacé par le quenya, et il servait toujours lorsque les Valar tenaient leurs grands débats. « Les langues et les voix des Valar sont grandes et austères », écrit Rúmil de Tirion, « et pourtant aussi rapides et subtiles dans leur mouvement, produisant des sons que nous trouvons difficile à reproduire ; et leurs mots sont souvent longs et rapides, comme l’éclat des épées, le bruissement des feuilles dans un grand vent ou la chute des pierres dans la montagne. » Pengolodh est moins lyrique et aussi moins courtois : « L’effet du valarin sur les oreilles elfiques n’était manifestement pas plaisant. »2) Le valarin employait de nombreux sons qui étaient étrangers aux langues elfiques.
Néanmoins, le quenya emprunta certains mots au valarin, quoiqu’ils dussent souvent être considérablement changés pour s’adapter à la phonologie contraignante du haut-elfique. Du Silmarillion, nous pouvons nous rappeler l’Ezellohar, le Tertre Vert, et Máhanaxar, l’Anneau du Jugement. Il s’agit de mots étrangers au quenya, adoptés et adaptés des valarins Ezellôchâr et Mâchananaškad3). Les noms des Valar Manwë, Aulë, Tulkas, Oromë et Ulmo furent empruntés aux valarins Mânawenûz, A3ûlêz, Tulukastâz, Arômêz et Ulubôz (ou Ullubôz). D’origine similaire est le nom du Maia Ossë (Ošošai, Oššai). Les noms Eönwë et peut-être aussi Nessa semblent également avoir été adoptés du valarin, mais les formes originales de leurs noms ne sont pas conservées.
Parfois, un mot quenya dérivé du valarin ne signifie pas exactement la même chose que le mot original. Le quenya axan “loi, règle, commandement” est dérivé du verbe valarin akašân, supposé signifier « Il dit » – « Il » n’étant nul autre que Eru Lui-même. Les Vanyar, qui étaient en contact plus étroit avec les Valar que les Ñoldor, avaient aussi adoptés plus de mots de leur langue, comme ulban “bleu” (la forme valarine originale n’est pas donnée). Mais les Valar eux-mêmes encouragèrent les Elfes à traduire les mots valarins dans leur belle langue plutôt que d’adopter et adapter les formes valarines originales. Et ainsi firent-ils souvent : les noms Eru « l’Un = Dieu », Varda « la Sublime », Melkor « Celui qui se dresse en Puissance » et plusieurs autres sont entièrement elfiques, mais aussi des traductions des noms valarins. Voir WJ (p. 402-403) pour une liste complète des noms ainsi traduits.
e valarin influença aussi d’autres langues que le quenya par des voies mystérieuses. Il est intéressant de noter que le terme valarin iniðil “lys ou autre large fleur isolée” apparaît en adûnaïque (númenórien) comme inzil “fleur” (comme dans Inziladûn “Fleur de l’Ouest”, UT, p. 227). Comment un mot valarin eut-il pu parvenir à l’adûnaïque ? Par les Elfes, peut-être même des Vanyar, visitant Númenor ? Par le khuzdul, si Aulë inséra ce mot dans la langue qu’il inventa pour les Nains ? Il ne fait guère de doute que le parler des ancêtres des Edain fut lourdement influencé par le nanesque. Aucun récit ne montre un Vala rendant visite aux Númenóriens et conversant directement avec eux, et même si l’un l’avait jamais fait, il aurait certainement utilisé une langue qu’ils pouvaient comprendre, pas le valarin4).
Anthony Appleyard a remarqué qu’un mot du parler noir de Sauron, nazg “anneau” semble être un emprunt au valarin naškad (ou anaškad ? Ce mot est isolé de Mâchananaškad « Anneau du Jugement », et nous ne pouvons donc pas être sûrs de sa forme exacte). En tant que Maia, Sauron devait connaître le valarin.
Le valarin pur fut-il jamais ouï en-dehors du Royaume Béni ? Melian la Maia le saurait, mais à l’évidence, elle n’eut guère d’occasions de le parler au cours de sa longue incarnation comme Reine de Doriath. Bien plus tard, au Troisième Âge, les Istari devaient connaître le valarin ; on peut se demander s’ils le parlaient entre eux. Lorsque Pippin déroba le palantír à Gandalf endormi, il est rapporté que le magicien « bougea dans son sommeil et marmonna quelques mots : ils semblaient être dans une langue étrange »5). Cela aurait-il pu être du valarin, le Maia Olórin revenant à sa langue natale durant son sommeil ? (Mais d’un point de vue « externe », il n’est même pas certain que Tolkien envisageait une langue valarine distincte à l’époque où il rédigeait le SdA ; voir ci-dessous6).).
es idées de Tolkien au sujet de la langue des Valar changèrent au cours des années. Son concept original était que le valarin était l’ancêtre ultime des langues elfiques – que l’elfique primitif naquit lorsque les Elfes tentèrent d’apprendre le valarin d’Oromë à Cuiviénen7). Cette idée fut plus tard rejetée ; dans le Silmarillion publié, les Elfes inventèrent leur propre langue avant qu’Oromë ne les trouvât. Pendant un certain temps, le concept même d’une langue valienne fut abandonné : en 1958, dans une lettre à Rhona Beare, Tolkien affirma que « les Valar n’avaient pas de langue qui leur soit propre, n’en ayant pas besoin »8). Mais peu après, dans l’essai « Quendi & Eldar », datant d’environ 1960, la langue des Valar réapparut, quoiqu’elle fut désormais conçu comme très différente des langues elfiques et fort peu susceptible d’être leur ancêtre9). Comme noté ci-dessus, des mots valarins quenyarisés apparaissent dans le Silmarillion publié : Ezellohar, Máhanaxar.
Dans des sources plus anciennes apparaissent des étymologies elfiques pour les noms désormais censés être des emprunts au valarin. Par exemple, le nom d’Aulë, dieu de l’artisanat, est dérivé du radical GAW “considérer, deviser, élaborer” dans « Les Étymologies »10). Le nom valarin A3ûlêz apparut plus tard.
Il a été suggéré que l’inspiration de Tolkien pour le valarin était l’ancien babylonien ; certains ont l’impression que le style général du valarin rappelle des mots comme « Etemenanki », le nom de la grande tour (ziggourat) de Babylone. Cependant, de telles vues sont purement conjecturales, et l’on pourrait légitimement se demander pourquoi Tolkien aurait pris le babylonien comme modèle pour la langue des dieux de son Légendaire. Il avait plus probablement comme objectif la création d’un style très particulier, puisque le valarin est censé être une langue complètement indépendante de la famille des langues elfiques, qui aurait été développée et parlée par des êtres surhumains.
e valarin emploie un grand nombre de sons, et Tolkien utilisa aussi un nombre exceptionnel de lettres spéciales pour l’écrire. Il y comporte au moins sept voyelles, a, e, i, o et u (longues et courtes), plus æ (comme dans l’anglais cat) et une variété spéciale de o ouvert, probablement à mi-chemin entre les voyelles anglaises a dans card et o dans sore. Il y a un bon nombre de fricatives : ð (comme le th dans le the anglais), þ (comme le th dans le mot anglais thing), 3 (n’existe pas en anglais ; fricative équivalente au g, écrite gh dans l’orquien ghâsh), et ch comme dans le ach germanique ou gallois (que Tolkien représente en fait avec la lettre grecque chi dans l’écriture du valarin). Les occlusives incluent les voisées b, d, g et les sourdes p, t, k. Les digrammes ph, th et bh représentent probablement des occlusives aspirées, i.e. p, t, b suivis de h. Il y a au moins trois sibilantes, z, s et š, la dernière étant similaire au sh dans l’anglais she. Deux nasales, m et n, sont attestées. Le valarin avait aussi la vibrante r et la latérale l, plus les semivoyelles y et w. La plupart des mots possèdent la structure (V)CVCV…, avec peu de groupes consonantiques, bien que br, lg, ll, gw, šk et st soient attestés en position médiale.
Une infixation plurielle -um- se retrouve dans Mâchanâz, pl. Mâchanumâz “Autorités, Aratar”. Voilà tout ce que nous pouvons dire au sujet de la grammaire valarine. (Voir cependant ayanûz dans la liste de mots ci-dessous, pour une possible terminaison flexionnelle.) Le terme dušamanûðân “maculé” semblerait être un participe passé, vu sa traduction ; si nous avions connu le verbe “maculer”, nous aurions pu isoler les morphèmes utilisés pour dériver de tels participes. Cependant, le seul verbe attesté est akašân, qui signifie “il dit”. Ce mot peut probablement se diviser en une racine “dire” et des affixes signifiant “il” et “temps présent”, mais nous ne pouvons pas isoler les morphèmes avec une quelconque certitude.
Ainsi que l’indiqua Rúmil, les mots, en particulier les noms, tendent à être particulièrement longs, jusqu’à huit syllabes pour Ibrîniðilpathânezel “Telperion”. Tous les noms attestés des Valar se terminent en -z : A3ûlêz “Aulë”, Arômêz “Oromë” (voir la liste de mot au sujet de l’orthographe), Mânawenûz “Manwë”, Tulukastâz “Tulkas”, Ulubôz ou Ullubôz “Ulmo”. Les autres noms ne semblent pas avoir cette terminaison, pas même le nom du Maia Ossë (Ošošai, Oššai). Mais, peut-être de façon significative, les mots ayanûz “ainu” et Mâchanumâz “Aratar” ont cette même terminaison. Dans l’entrée pour ayanûz dans la liste de mots ci-dessous, il est suggéré qu’une sorte de terminaison flexionnelle est présente dans ce mot.
La seule chose que nous pouvons dire sur la syntaxe est que les adjectifs semblent suivre le nom qu’ils décrivent : Aþâraphelûn Amanaišal « Arda Immaculée », Aþâraphelûn Dušamanûðân « Arda Maculée ».
es voyelles longues sont notées au moyen de circonflexes (^) ; la source utilise des macrons à la place. Un son correspondant au ach-Laut allemand est écrit avec la lettre grecque chi dans la source ; ici, le digramme ch est utilisé à la place. Dans la source, la fricative dorsale souvent orthographiée gh par Tolkien est écrite avec une lettre spéciale similaire au chiffre 311), qui est utilisé ici. Les mots vanyarins de couleur nasar “rouge” et ulban “bleu” étaient dérivés du valarin, mais comme les formes originales ne sont pas données, ils ne sont pas inclus dans cette liste.
« Cela implique qu’une personne / chose est (relativement ou absolument) “immaculée” : c’est-à-dire, selon la pensée elfique, non affectée par les désordres introduits en Arda par Morgoth : et par conséquent suit sa vraie nature & function. Lorsqu’il est appliqué à l’entendement / esprit, il est plus ou moins équivalent à moralement bon ; mais appliqués à des corps il se réfère naturellement à la santé et à l’absence de distortions, dommages, flétrissures, &c.
DÉRIVS. *Ámān : q Aman (aman-, s{ind} Avon “État Immaculé”, en particulier appliqué aux régions occidentales “immaculées”, dont Valinor (habitat des Valar) faisait partie.
Manwe. Nom quenya du “Roi Ancien”, Seigneur des Valar d’Aman. »