Thorsten Renk traduit de l’anglais par Damien Bador |
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Article théorique : La maîtrise globale des écrits de J.R.R. Tolkien est nécessaire pour bien saisir la portée des articles de cette catégorie, les sujets étant analysés de façon poussée par leurs auteurs. |
es nombres entiers et les relations qu’ils entretiennent existent en tant qu’entités mathématiques indépendantes de la langue – dont le rôle est d’attribuer une étiquette à chacun de ces nombres. En principe, la langue pourrait créer des étiquettes pour chaque nombre. En pratique, les nombres sont groupés en unités de dénombrement (bases), réduisant significativement le nombre de noms nécessaires pour les nombres, puisque ceux qui sont déjà nommés peuvent alors être utilisés pour dénombrer la base (par exemple, le français combine « cent » et « mille » en « cent mille » plutôt que de créer un nouveau nom pour ce nombre)1).
La plupart des cultures emploient un système en base 10, vu que nous disposons de dix doigts pour compter. Notant que la combinaison des doigts et des orteils donne vingt unités, nous sommes à même d’apprécier pourquoi les Mayas inventèrent à la place un système en base 20. Les ordinateurs, ne comprenant que les états « on » et « off » pour chaque bit, ont un système de comptage interne en base 2. Comme Tolkien l’indique dans l’Appendice D du SdA, « les Eldar préféraient dénombrer par douzaines et demi-douzaines autant que possible »2)3). Mathématiquement, il n’y a pas de différence entre les bases. Le nombre 10 n’est nullement spécial, tandis que les propriétés mathématiques des nombres (e.g. les nombres premiers) sont vraies dans toutes les bases. Mais bien sûr, dans chaque langue, les noms des nombres dépendent étroitement de la base choisie.
Des noms uniques ne sont nécessaires que dans la base de départ. En français, notons par exemple comment le terme « sept » réapparaît dans « dix-sept » (la première série supérieure à la base)4). Dès que nous atteignons des multiples de la base de départ, les nombres élémentaires sont utilisés pour leur énumération (tandis que l’unité de base peut apparaître comme affixe réduit, cf. angl. four-ty « quarante » au lieu de **four-tens « quatre-dix »)5). Les chiffres sont simplement ajoutés, cf. four-ty one « quarante et un ».
ien sûr, il existe de nombreuses exceptions, comme les nombres « onze », « douze », etc. qui sont des dénominations uniques et n’emploient pas l’unité de base6). Le schéma de construction de la première série au-dessus de dix est différent de celui des nombres plus élevés, au lieu d’avoir « **dix-quatre » (comme « vingt-quatre »), on trouve « quatorze ». D’autres langues peuvent avoir des exceptions différentes – si le finnois n’a pas de dénomination unique pour 11 et 12, le schéma utilisé pour créer 12 kaksitoista à partir de dix kymmenen est cependant différent de la manière de créer 22 kaksikymmenta-kaksi à partir de 20 kaksikymmenta.
Les langues suivent aussi des règles différentes lorsqu’elles passent à des unités plus importantes. Lorsque l’on atteint 10 fois 10, une nouvelle appellation « cent » est nécessaire, mais avec ce label, on pourrait aller jusqu’à 100 fois 100 – à la place, une nouvelle appellation est déjà formulée à 10 fois 100 – « mille ». La logique du japonais est plus cohérente, introduisant l’unité suivante à 10 000. Le français reste ensuite cohérent, attendant jusqu’à 1000 fois 1000 pour introduire le « million »7), mais l’unité suivante, le « milliard », n’est pas introduite à un million de fois un million, mais dès 1000 fois un million. Néanmoins, les langues ont tendance à devenir plus régulières pour les grands nombres.
En créant des numéraux pour ses langues elfiques, Tolkien considéra l’ensemble des points ci-dessus, et il est intéressant de comparer la structure de ses numéraux elfiques avec ceux de l’anglais [et du français]. Il y a eu des débats considérables sur la question de savoir si les Elfes utilisaient un système de dénombrement décimal ou duodécimal, et comme nous allons le voir par la suite, les deux schémas sont utilisés, bien que sa décision finale semble avoir été que le système décimal était plus commun, au rebours des affirmations publiées dans le SdA.
n nombre peut remplir de nombreux rôles dans une phrase. Observons ce qui suit : « J’ai vu dix guerriers. Premièrement apparurent trois armés d’épées et de boucliers, puis les autres. Les trois avaient des boucliers peints du chiffre deux, et faisaient donc probablement partie de la deuxième armée. L’un des guerriers avait aussi une dague. »
Dans la première phrase, « dix » est une unité de dénombrement des « guerriers ». Puis « premier », la forme ordinale (adjectivale) de « un » est utilisé dans l’adverbe « premièrement », spécifiant le verbe « apparaître ». Dans cette phrase, « trois » est utilisé comme pronom, et remplace « guerriers ». Dans celle qui suit, « les trois » est à nouveau un syntagme pronominal, mais le « deux » peint sur les boucliers emploie le nombre en tant que nom. Pour décrire l’armée, « deuxième », forme ordinale de « deux », est alors utilisé comme adjectif. Finalement, « un » apparaît comme pronom sans dénombrer les guerriers, étant à la place employé pour dénoter une partie d’un groupe ; « l’un des guerriers » est différent de « un guerrier ».
Nous pouvons voir que les nombres sont des entités grammaticales assez complexes. Alors que le français établit certaines distinctions explicites (i.e. entre nombres cardinaux et ordinaux, cf. « quatre » et « quatrième »), il en omet d’autres : il n’y a pas de mot pour le « chiffre quatre ». Le japonais ajuste chaque nombre en fonction de la chose qui est comptée. Tandis que ichi, ni, san correspond à « un, deux, trois », si nous comptons de petites choses rondes, le japonais donne ikko, niko, sanko ; si ce sont d’objets longs (comme des rouleaux manuscrits), ippon, nihon, sanbon ; s’il s’agit d’objets plats, issatsu, nisatsu, sansatsu, etc. Le français joins l’objet compté au pluriel, cf. « trois elfes », mais d’autres langues trouvent des solutions différentes : le finnois le joins au singulier partitif, i.e. kolme suomalaista, lit. « trois du type “finnois” ».
Nous ne pouvons établir le rôle grammatical précis des numéraux pour toutes les étapes conceptuelle des langues elfiques de Tolkien, mais dans les cas où nous avons de telles informations, nous observons un système aussi riche que complexe, qui est très loin d’être uniquement dérivé de l’anglais. Dans ce qui suit, nous nous focaliserons principalement sur la structure du système numérique, en particulier la manière dont les grands nombres sont formés à partir d’unités plus petites et sur ce que nous savons de la grammaire des numéraux. Cet article n’étudiera pas spécifiquement les idées de Tolkien concernant l’origine des nombres en tant que mots ou leur dérivation. De telles informations peuvent se trouver en (9), par exemple.
es entrées du « Qenya Lexicon »8) dans le PE 12 font partie des premiers exemples de numéraux des langues de Tolkien. Plusieurs nombres se trouvent dispersés dans cette liste :
1 | mir9) |
2 | #atta10) |
3 | ole11) |
4 | nelde12) |
5 | lemin13) |
6 | ende14) |
7 | otso15) |
9 | olme, olmet16) |
10 | lempe17) |
11 | minqe18) |
20 | atwen, uiwen19) |
23 | leminkainen20) |
36 | olwen21) |
84 | otwen22) |
100 | tuksa pīnea ou lempea23) |
144 (« grosse ») | tuksa |
Le schéma émergeant pour les nombres supérieurs à 10 est assez intéressant. Si nous considérons atwen, uiwen « vingt »24) ainsi que le préfixe at-, att-, atta- « bi-, di- »25), nous pourrions supposer que –wen serait une sorte de marque de la base 10, et « vingt » serait simplement deux fois l’unité de dénombrement en système décimal. Cependant, olwen « trente-six » présente le même suffixe et est manifestement fondé sur ole « trois ». On peut l’expliquer comme trois fois l’unité de dénombrement en système duodécimal, où la base est 12, puisque trois fois douze vaut trente-six. Cependant, il nous faut alors supposer que –wen marque des douzaines plutôt que des dizaines. Ce qui est essentiellement confirmé par otwen « quatre-vingt-quatre » (PE 12, p. 71), qui semble impliquer otso « sept »26) fois la base 12, donnant « quatre-vingt-quatre »27). La solution à cet apparent mystère se trouve dans tuksa, qui signifie habituellement 144 (l’unité de dénombrement multipliée par elle-même), mais vaut cent lorsqu’elle est combinée avec le terme additionnel pīnea ou lempea (ce dernier se traduisant par « décimal »28)), i.e. à nouveau l’unité de dénombrement multipliée par elle-même, mais dans une base différente. Ainsi, on peut compter « normalement » ou lempea, et il nous faut supposer que atwen représente alors un nombre dans le système d’énumération lempea.
Le nombre leminkainen « vingt-trois »29) est un mystère. Le premier élément est clairement lemin « cinq »30), mais puisque vingt-trois est un nombre premier, il ne saurait être cinq fois le multiple d’un nombre entier. La seule conclusion possible est qu’il fallait ajouter cinq à un autre nombre, d’où #kainen « dix-huit » ? Mais s’il en est ainsi, dix-huit n’est pas un nombre spécial dans le système décimal ou duodécimal – devrions-nous supposer qu’il existait aussi un système de dénombrement en base 18 dans l’esprit de Tolkien ? Malheureusement, nous ne connaissons rien à propos de l’usage de ces nombres31).
La manière de former les multiples se voit en PE 12, p. 56, où un suffixe –lukse « -fois » apparaît à côté de la forme attalukse « #deux fois ».
On trouve aussi certains nombres dispersés dans le « Gnomish Lexicon »32) (publié dans le PE 11) :
1 | min « un, premier »33) ; er « un unique »34) |
4 | cant35) |
5 | elf(in)36) |
8 | uvon, uvin et [supprimé] †ungin37) |
18 | unthos38) |
144 | beleth(os)39) |
1000 | mothwen, moth(in) « troupeau »40) |
À l’exception de min / mir, il n’y a guère de similarité entre les numéraux du goldogrin et du qenya. En goldogrin, nous voyons pour la première fois une distinction claire entre deux mots pour « un » – tandis que min dénote le premier d’une série et sous-entend que d’autres éléments suivent, er désigne un élément unique, aucun autre n’étant supposé suivre. Cette distinction est déjà sous-entendue dans le QL, cf. l’élément eresse « uniquement, seulement, seul »41), bien que n’en soit dérivé aucun numéral.
Il semble difficile de décider si le système entraperçu par ces nombres est décimal ou duodécimal. La similarité entre ungin et unthos pourrait indiquer que ce dernier nombre est en rapport avec « huit » et que le système est donc décimal. Mothwen « mille » pointerait clairement vers une énumération décimale, tandis que beleth(os) est caractéristique d’un système duodécimal42).
Chose intéressante, belethos semble incorporer l’élément beleg « grand »43) et signifie donc probablement de façon littérale « un grand nombre ». Nous verrons plus bas que l’idée qu’une unité de dénombrement importante puisse se développer à partir d’un mot pour « grand nombre » revient fréquemment dans les écrits de Tolkien, bien que sa définition précise de ce qu’un grand nombre signifie ait relativement évolué au cours du temps.
Concernant les nombres et les formes apparentées, on trouve un préfixe gwi- « bi-, di- »44), l’ordinal obin « second, suivant »45), quelques mots pour « demi », elfeg « demi (adj.) »46) ou lemfin, lemfa47), parallèlement à elef « moitié (n.) »48) ou lemp49) (i.e. il existe deux radicaux associés avec « demi, moitié ») et finalement ungra « huitième »50).
Le seul exemple d’emploi des numéraux demeure la remarque de Tolkien selon laquelle « un demi » s’exprime au moyen du nom elef, d’où basgorn elef, qui se traduit probablement par « #une demi miche de pain »51). Il semble impossible de tirer des conclusions substantielles à partir de cette forme52).
a « Early Qenya Grammar »53) que l’on trouve dans le PE 14 contient un compte-rendu complet du système numérique qenya, y compris des explications et des exemples pour utiliser les numéraux. De plus, elle décrit aussi comment former les multiples et les fractions des nombres (et indique ainsi que les Elfes disposaient d’un système mathématique hautement développé). Il existe deux versions de cette grammaire, un manuscrit et un dactylogramme. Les deux versions sont généralement similaires, mais il existe des différences de détail. Dans la suite, nous ferons habituellement référence au manuscrit et donnerons des références spécifiques pour les formes qui sont modifiées (ou sont uniquement attestées) dans le dactylogramme. Un tableau des nombres cardinaux se trouve en PE 14, p. 49-50 :
1 | er « un unique » min « un, premier » |
2 | satta « les deux » [angl. both] (satto en PE 14, p. 82), yúyo « deux |
3 | nelde |
4 | kanta |
5 | lemin |
6 | enqe ou enekse |
7 | otso |
8 | tolto |
9 | hue |
10 | kea (adj.), kai, kainen (part.) |
11 | minqe |
12 | yunqe |
13 | nelkea |
14 | kankea |
15 | lenkea, leminkea |
16 | enkea, enekkea |
17 | okkea |
18 | tolkea ou hualqe54) |
19 | húkea |
20 | yukainen |
21 | min yukainen (minya yukainen en PE 14, p. 82) |
22 | yúyo yukainen |
30 | nel(de)kainen |
40 | kan(ta)kainen |
50 | leminkainen |
60 | enekkainen |
70 | otsokainen (aussi okkainen à l’occasion55) |
80 | tol(to)kainen |
90 | huekainen |
100 | tuksa, ou, lorsqu’il n’est pas multiplié, keakai(li) |
110 | kea tuksa ou minqekainen |
120 | yukainen tuksa ou yunqekainen |
200 | yúyo tuksa, yutuksa56) |
300 | nelde tukse57) |
1000 | tuksakainen, tuksainen ou húme (orig. « grand nombre ») (maite en PE 14, p. 83) |
2000 | yúyo húmi |
« 1 million » | mindóra (sóra « un très grand nombre » en PE 14, p. 83) |
« 2 millions » | yundóra (yundóre est un « billion » en PE 14, p. 83)58) |
« 3 millions » | neldóra (neldóre est un « trillion » en PE 14, p. 83) |
« #4 millions » | kantóra (kantóre est un « quadrillion » en PE 14, p. 83) |
« #5 millions » | lemindóra |
« #6 millions » | enqendóra 59) |
« #7 millions » | otsondóra |
Le système que l’on voit ici est clairement décimal. En observant nelde « trois » et neldekainen « trente », on constate que la première unité de dénombrement est kainen, noté être le « part[itif] » de kai, qui s’accorde bien avec la terminaison partitive –inen vue en PE 14, p. 46. Ainsi, neldekainen devrait littéralement se traduire par « #trois de dizaines ». La forme kea est dite être « adj[ective] ». Elle est employée pour former les nombres de treize à dix-neuf en combinaison avec les chiffres de base, nelkea devrait donc peut-être se lire littéralement par « #trois dizains ». Comme en anglais, les nombres douze et treize ont des noms spécifiques ne suivant pas ce schéma. Chose intéressante, dix-huit possède aussi le nom spécial hualqe, qui semble renvoyer à son rôle en tant que deux fois neuf, ce dernier étant hue. Ainsi, alors que le système lui-même est décimal, il s’y trouve également des restes de systèmes de dénombrement différents.
Contrairement à l’anglais, où les unités les plus grandes passent en premier, le qenya semble mettre la plus petite unité devant, « vingt-et-un » étant traduit par min yukainen, pas par **yukainen min, et « cent vingt » l’étant par yukainen tuksa – il est probable que « cent vingt-et-un » donnerait #min yukainen tuksa. Comme en anglais, le qenya passe à une nouvelle unité de dénombrement húme à dix fois cent, bien qu’une telle unité ne soit pas logiquement nécessaire. De même, l’unité suivante, mindóra, correspond à un million. Nous observons ici la différence la plus remarquable entre les versions manuscrite et dactylographiée de la grammaire – alors que yundóra, combinant les éléments « deux » et « million » signifie « deux million » dans la grammaire du manuscrit, sa signification change en « milliard » dans celle du dactylogramme, avec le changement (pluralisation ?) en yundóre.
’emploi des numéraux est également expliqué en détail. Nous y apprenons que « tous les numéraux précèdent le nom qu’ils qualifient »60) et que « tous [les numéraux] peuvent être employés indépendamment comme noms ou pronoms […], à l’exception de kea et de ceux se terminant en –kea, –kainen. kea peut être utilisé comme pronom, mais le nom abstrait utilisé […] est kai »61). Cela veut probablement dire que si « trois [elfes] » (pronom) et « nombre trois » (nom abstrait) se traduisent par nelde, « dix [elfes] » est kea, tandis que « nombre dix » est kai.
Concernant la relation entre les numéraux et les objets comptés, nous observons des règles assez complexes62) :
Tandis que « deux elfes » sont ainsi yúyo elda, « trois elfes » pourraient se dire nelde elda ou nelde eldali, mais « dix elfes » doivent être kee eldali. De plus, « vingt elfes » peut uniquement être joint avec le partitif, et devrait donc être # i·yukainen n·eldalion, alors que # yukainen n·eldalion signifierait plutôt « vingt des elfes ». Clairement, la grammaire des numéraux du qenya présente une certaine complexité.
Ces règles semblent même avoir eu une influence sur la construction du système de dénombrement lui-même, cf. yúyo tuksa « deux cents »69), avec nelde tukse « trois cents »70) – alors que dans le premier cas tuksa est joint au singulier, il l’est au pluriel dans le second. Il existe cependant des différences entre les versions manuscrites et dactylographiées de la grammaire ; dans cette dernière nous trouvons « deux mille » sous la forme yúyo húmi (i.e. avec le pluriel pour le singulier húme).
Finalement, nous observons à nouveau l’idée que des nombres ayant initialement signifié « grand nombre », húme, ou « très grand nombre », sóra, aient acquis de véritables valeurs numériques au cours du développement de la langue.
La « Early Qenya Grammar » donne encore un tableau des nombres ordinaux, accompagné de l’information qu’il s’agissait tous d’adjectifs :
1er | minya |
2e | potsina « prochain, suivant » etya « autre » (erya en PE 14, p. 82) |
3e | nelya |
4e | kanya |
5e | leminya |
#6e | enetya |
#7e | otya |
#8e | tolya |
#9e | húya |
#10e | kaiya, keatya (keanya en PE 14, p. 82) |
#11e | minqetya (minqenya en PE 14, p. 82) |
#12e | yunqetya (yunqenya en PE 14, p. 82) |
#13e | nelkeatya, nelkaiya (nelkeanya en PE 14, p. 82) |
14e | kankaiya, kankeanya71) |
15e | leminkaiya72) |
16e | enekkaiya73) |
17e | okkaiya74) |
18e | hualtya, hualqetya, hualtya, hualqenya, tolkaiya75) |
19e | hukaiya76) |
#20e | yukainenya |
#21e | min-yukainenya, minya, yukainen(ya) |
#100e | tuksanya |
#1000e | tuksainenya, humetya |
« millionième » | mindóratya, mindóranya (mindorinya en PE 14, p. 83) |
Les formes furent apparemment créées au moyen des terminaisons –ya, –tya et –nya (on peut observer que ce dernier remplaça –tya dans la grammaire dactylographiée) à partir des nombres cardinaux, après qu’ils ont perdu certains de leurs éléments finaux, d’où nel-de ↔ nel-ya ou tol-to ↔ tol-ya. Habituellement, la première syllabe est préservée. La seule forme « irrégulière » de ce schéma semble être potsina « prochain, suivant ».
Une autre liste couvre l’usage de ces multiples. Nous y trouvons :
« une fois » | eru, eresse, ellume |
« premier » | min, minyallume77) |
« deux fois » | yú, yullume |
« trois fois » | nel, nellume, neldellume |
« quatre fois » | kan, kantallume |
« #cinq fois » | lemillume |
« #six fois » | enqellume |
« #sept fois » | otsollume |
« #dix fois » | keallume |
« #vingt fois » | yukainellume |
« #cent fois » | tuksallume |
Pour les petits nombres, le multiple n’est composé que du radical de ce nombre, i.e. la partie qui est utilisée pour former le premier élément des nombres ordinaux. Alternativement, et pour les grands nombres, -llume (traduisant seulement « fois », selon toute probabilité) est ajoutée pour former le nombre complet, bien que des contractions prennent place si son radical se termine en –l, cf. neldellume et nellume.
L’utilisation de ces formes est illustrée par la phrase hue yullume i hualqe « deux fois neuf vaut [lit. « est »] dix-huit »78), qui demeure jusqu’ici le seul exemple d’usage de l’elfique en mathématiques.
En PE 14, p. 51, un autre tableau illustre la formation des fractions (utilisées comme noms ou pronoms) à partir des nombres de base :
« entier » | kaina, kaino |
« demi » | lempe |
1/3 | neldesto |
1/4 | kantasto |
1/5 | leminto |
1/6 | enekto, enqetto (enqesto en PE 14, p. 84) |
1/7 | otsotto (otsonto en PE 14, p. 84) |
1/8 | toltosto |
1/9 | huetto (huesto en PE 14, p. 84) |
1/10 | keatto (kesto en PE 14, p. 84) |
1/11 | minqetto (minqesto en PE 14, p. 84) |
1/12 | yunqetto79) |
1/13 | nelkeatto (nelkesto en PE 14, p. 85) |
1/20 | yukainento |
1/100 | tuksatto (tuksanto en PE 14, p. 85) |
1/1 000 | maisitto (maisinto en PE 14, p. 85) |
1/1 000 000 | mindoritto (mindórinto en PE 14, p. 85) |
À l’exception des mots kaina « complet, entier » et lempe « moitié » (qui semble être apparenté au radical pour « cinq »), les fractions sont habituellement formées au moyen des terminaisons –sto, –tto ou –nto, où –sto remplace régulièrement –tto dans la grammaire du dactylogramme. Noter que la forme maite possède le radical maisi-80), expliquant ainsi la forme maisitto comme combinaison de maite avec la terminaison –tto.
Un tableau des fractions utilisées comme adjectifs se trouve aussi en PE 14, p. 51 :
« demi » | lenya, lempea (lemya en PE 14, p. 84) |
1/3 | neldest(y)a |
1/4 | kantast(y)a |
1/5 | lemintya |
1/6 | enektya, enqetya (enqestya en PE 14, p. 84) |
1/7 | otsotya (otsontya en PE 14, p. 84) |
1/8 | toltost(y)a |
1/9 | huetya (huestya en PE 14, p. 84) |
1/10 | keatya (kestya en PE 14, p. 84) |
1/11 | minqetya (minqestya en PE 14, p. 84) |
1/12 | yunqetya |
1/13 | nelkestya, nelkeastya81) |
1/20 | yukainentya |
1/100 | tuksatya (tuksantya en PE 14, p. 85) |
1/1000 | maisitya (maisintya en PE 14, p. 85) |
1/1.000.000 | mindórintya82) |
Pour la plupart, ces formes adjectivales peuvent s’expliquer par un remplacement des terminaisons nominales, -tto > -tya, -sto > -st(y)a et -nto > -ntya.
Dans « Les Étymologies »83) de LRW sont listés divers radicaux apparentés aux nombres et aux numéraux pour le qenya et le noldorin :
Racine eldarine commune | Qenya | Noldorin | Référence | |
1 (un seul) | ERE- | er | LRW, p. 356 | |
1 (premier) | MINI- | mine | min | LRW, p. 373 |
2 | AT(AT)- | atta | tad | LRW, p. 348 |
3 | NEL-, NÉL-ED- | nelde | neledh plus tard neled | LRW, p. 376 |
4 | KÁNAT- | kanta | canad | LRW, p. 362 |
5 | LEP-, LEPEN, LEPEK | lempe | lheben | LRW, p. 368 |
6 | ÉNEK- | enqe | eneg | LRW, p. 356 |
7 | OT-, OTOS, OTOK | otso | odog | LRW, p. 379 |
8 | TOLOTH, TOLOT | tolto | toloth | LRW, p. 394 |
9 | NÉTER- | nerte | neder | LRW, p. 376 |
10 | KAYAN, KAYAR- | kainen | caer | LRW, p. 363 |
11 | MINIK-W- | minque | LRW, p. 373 | |
12 | RÁSAT- | LRW, p. 383 | ||
144 | KHOTH- | host | LRW, p. 364 |
Si l’existence de racines comme RÁSAT- « douze » ou KHOTH- « 144 » semble indiquer qu’un système duodécimal soit voulu ici, nous noterons qu’aucun numéral pour « douze » n’est donné en qenya ou en noldorin, et qu’une langue peut fort bien avoir des mots spéciaux pour douze ou 144 (comme l’anglais, en fait), sans utiliser de schéma de dénombrement duodécimal. Les indications disponibles ne nous permettent pas de déterminer ce point.
Cette liste n’ajoute pas d’idées substantielles nouvelles – il existe toujours deux racines associées avec « un », qui dépendent du contexte, et beaucoup de nombres du qenya ne voient guère changer leur forme par rapport au qenya premier.
La présence de diverses racines, cf. TOLOTH, TOLOT, ou de formations analogiques, cf. neledh, plus tard neled, suggère qu’à ce point Tolkien eut des difficultés considérables pour accorder les dérivés publiés de ses racines et les noms des nombres avec son développement phonologique.
ans Tolkien : Artiste et illustrateur84), une phrase noldorine se trouve sur la première version de la Carte de Thrór, s’accordant bien avec les numéraux que l’on trouve dans « Les Étymologies ». La phrase donne lheben teil brann i annon ar neledh neledhi gar godrebh, apparemment une traduction (libre) de « cinq pieds de haut la porte, et trois peuvent marcher de front »85).
Les deux numéraux de cette phrase, lheben « cinq » et neledh « trois » sont directement tirés des « Étymologies ». Cependant, cette phrase est intéressante puisqu’elle permet d’étudier l’usage des nombres cardinaux en noldorin. Ici, lheben est employé pour dénombrer « pieds », tandis que teil est un pluriel non lénifié. Comme les noms noldorins au génitif sont lénifiés (cf. « Noldorin Compounds »86)), il ne faut pas l’interpréter comme un génitif partitif « cinq du type pieds », mais plutôt comme la manière normale de combiner un nombre avec un nom. Ainsi, exactement comme en qenya premier, le numéral précède le nom. Que le nom demeure non lénifié et (à la différence de la situation typique en qenya premier) soit au pluriel est spécifique au noldorin. Il est impossible d’en déduire si les noms devaient généralement être au pluriel ou si ce n’était vrai que pour des nombres particuliers.
L’emploi des numéraux comme pronoms est illustré par neledh – qui signifie apparemment ici « trois [personnes, nains] » susceptibles de passer la porte. Son verbe gar « #peut » est au singulier, indiquant que le nombre est vu comme une unité en dépit du fait qu’il désigne plusieurs personnes.
n SD, p. 128, la Lettre du Roi contient aussi certains nombres ordinaux. Nous y trouvons des expressions comme erin dolothen Ethuil « au huitième jour du Printemps », erin Gwirith edwen « [au] deuxième jour d’avril » et nelchaenen uin Echuir « le vingt-troisième [jour] de février »87). Nous pouvons directement extraire edwen « deuxième » et #tolothen « huitième ». La première forme semble être apparentée à la racine AT(AT)-, une dérivation d’un #atwina primitif semble possible, quoiqu’un ordre d’application inhabituel des inflexions en i et en a soit nécessaire pour parvenir à cette forme. Cela se voit par #tolothen, qui peut se dériver de toloth avec une terminaison –en, historiquement #-ina « sans inflexion en i interne », qui semble refléter le développement habituel.
Cependant, nelchaenen est plus étrange – en ôtant la terminaison –en, nous demeurons avec #nelchaen comme candidat pour un nombre cardinal. Étant donné que les racines pour « dix » sont KAYAN et KAYAR-, #caen peut plausiblement s’expliquer par « dix », mais le nombre semble plutôt être trente que trente-et-un. Carl F. Hostetter a suggéré une explication en VT 31, p. 31, liée au fait que la préposition employée dans cette expression est uin « depuis » plutôt que erin « au », contrairement aux deux autres expressions, et qu’ainsi, une date trente jour à partir du début du mois pourrait fort bien être au trente-et-unième jour, selon la manière dont les jours sont comptés à partir d’une date.
Si c’est le cas, #nelchaen est un rare exemple de nombre composé publié après la « Early Qenya Grammar ». Le principe de construction semble être fort similaire à nel(de)kainen en PE 14, p. 49, si la mutation consonantique interne caractéristique du noldorin / sindarin est prise en compte. Ainsi, nous pouvons noter que ce nombre est indubitablement donné dans un schéma de dénombrement décimal, de structure probablement assez proche de celle trouvée en qenya premier. Cependant, on ne peut que tenter de deviner ce que seraient les unités de dénombrement plus grandes à ce stade.
ans le Silmarillion, la forteresse de Thingol s’appelle Menegroth, qui est traduit par « les Mille Cavernes », dont on peut par conséquence isoler un élément sindarin #meneg « mille ». Il est fort plausible que la demeure souterraine de Thingol n’ait pas eu exactement mille cavernes mais juste un grand nombre de celles-ci, bien qu’un mot meneg signifiant à la fois un nombre spécifique et un grand nombre s’accorde bien avec des mots similaires des périodes antérieures, voir par ex. húme « 1000, orig. un grand nombre »88).
En WJ, p. 388, le nom sindarin des Petits-nains est dit être Levain tad-dail ou Tad-dail, en WJ, p. 389, est donné le nom quenya correspondant Attalyar, qui est traduit par « bipèdes ». À l’évidence, ces formes impliquent le q. atta et le sind. Tad « deux ». Fondant leurs arguments sur Tad-dail, des écrivains ont parfois argué qu’en sindarin (contrairement au noldorin) les mots suivant un nombre sont lénifiés. Mais nous n’en avons pas la preuve ici : Tad-dail ne se traduit pas par « deux pieds » mais par « bipèdes » - si l’on juge par la forme quenya, même #tail n’est pas le pluriel de « pied » mais plutôt le terme sindarin apparenté à #talya « #doté de pieds » et tad-dail est un adjectif « doté de deux pieds ». Le fait qu’il ne soit pas lénifié dans Levain tad-dail n’implique pas qu’il ne puisse être adjectif – environ la moitié des adjectifs sindarins attestés dans les expressions ne sont pas lénifiés, et il n’y a donc aucune raison de s’attendre à ce qu’il le soit ici.
Un tableau des numéraux du quenya et du sindarin se trouve en (7), dans le PE 17, p. 95 :
Sindarin | Quenya | |
1 | er | er |
1 | min | min |
2 | tad | atta |
3 | nel(eð) | nelde |
4 | can(ad) | kanta |
5 | leb(en) | lepen, lempe |
6 | eneg | enque, enk- |
7 | odog | otos |
8 | tolod | tolto |
9 | neder | nerte (neter) |
10 | cae, caen- | këa, kainen |
11 | mimp | minque |
12 | imp | yunque |
Ce tableau ne présente guère d’évolution par rapport au scénario vu dans « Les Étymologies ». Font partie de ces différences la modification du qenya mine « un » en quenya min, la forme variante quenya lepen « cinq », la modification du q. otso à otos, celles du nold. toloth à sind. tolod et du nold. caer à caen, et l’abandon de la racine RÁSAT-. Également notables sont les variantes courtes des nombres trois, quatre et cinq.
’aperçu complet du système numéral elfique qui suit provient de l’essai « Rivières et collines des feux de Gondor »89). Il semble s’agir d’un endroit surprenant pour une liste des nombres eldarins, mais la manière dont elle fut créée est très caractéristique des travaux tardifs de Tolkien.
Alors qu’il discutait de la rivière Lefnui (Levnui) apparaissant sur la carte de la Terre du Milieu, Tolkien nota que la dérivation voulue, « cinquième », ne s’accordait pas avec la phonologie sindarine et au fait qu’il voulait dériver « cinq » et « doigt » de la même racine LEP (pour d’évidentes raisons). Il est probablement correct de dire que le lecteur moyen du SdA ne remarque même pas la Lefnui, réalise encore moins qu’elle est supposée signifier « cinquième » et se sent fort peu concerné par le fait que ce nom ne s’accorde pas avec la phonologie du sindarin. Il n’en allait pas de même pour Tolkien.
Puisqu’il n’y avait pas moyen que la phonologie standard donne ce nom à partir de LEP, et que Tolkien n’était pas prêt à cette époque à inventer une racine alternative LEM, il commença par considérer une dérivation analogique. Mais pour montrer pourquoi cette forme spécifique fut changée par analogie, il devait d’abord dériver tous les autres nombres ordinaux sindarins. C’est grâce à ce problème phonologique que nous disposons d’une liste des formes des radicaux et des mots pour les nombres cardinaux (principalement pour le sindarin, mais certaines formes telerines et quenyarines sont aussi discutées) :
Racine eldarine commune | Sindarin | Quenya | Telerin | |
1 « unique » | ER | êr | ||
1 « premier » | MIN | mîn | ||
2. | TATA, ATTA | tâd | atta | tata |
3 | NEL, NEL-ED | nêl | ||
4 | KAN-AT | canad | kanta | canat |
5 | LEPEN | leben | lempe | lepen |
6 | EN-EK(W) | eneg | ||
7 | OT-OS | odog | ||
8 | TOL-OT | toloð | ||
9 | NET-ER | neder | ||
10 | KWAYA, KWAY-AM | pae | ||
11 | MINIK(W) | |||
12 | YUNUK(W) |
La liste des radicaux est relativement similaire à celle vue dans « Les Étymologies », les exceptions notables étant KWAYA, KWAY-AM pour « dix », donnant le sindarin pae plutôt que le noldorin caer trouvé dans « Les Étymologies » et YUNUK(W) pour « douze », rendant obsolète la racine RÁSAT-90). Une autre différence tient au fait que les numéraux monosyllabiques ont désormais acquis une voyelle longue.
Puisque l’objectif principal de la discussion des numéraux était de traiter la façon dont levnui avait pu apparaître, la liste des nombres ordinaux couvre également d’autres langues. Nous voyons ici la première séquence complète de numéraux en telerin :
Sindarin | Quenya | Telerin | |
1er | mein, main, minui | minya | minya |
2e | taid, tadui | tatya, attea | tatya |
3e | neil, nail, nelui | nelya, neldea | nelya |
4e | canthui | kantea | canatya |
5e | levnui | lemenya, lempea | lepenya |
6e | enchui, enecthui | enquea | enetya |
7e | othui, odothui | otsea | ototya |
8e | tollui | toldea | tolodya |
9e | nedrui | nertea | neterya |
10e | paenui | quainea | paianya |
Il n’est pas forcément surprenant que les ordinaux sindarins aient une terminaison en –ui, conduisant à la situation désirable que levnui puisse hériter de cette terminaison par analogie avec les autres numéraux, même si l’on pouvait s’attendre à un développement phonologique différent. Il s’agit d’une différence significative d’avec les ordinaux vus dans la Lettre du Roi, qui étaient caractérisés par la terminaison –en. Les ordinaux du quenya sont apparemment marqués au moyen d’une terminaison en –ea, ceux du telerin par –ya, lequel peut remplacer une consonne finale si nécessaire.
Ce qui est esquissé ici ne ressemble guère à un système duodécimal ; à cette époque pourtant, l’Appendice D du SdA affirmant que « les Eldar préféraient dénombrer par douzaines et demi-douzaines autant que possible »91) était déjà publié, aussi Tolkien sentit qu’il lui fallait donner quelques éclaircissements. Apparaît dans cet essai l’affirmation suivante :
« Mais déjà en eldarin commun, les multiples de trois, en particulier six et douze, étaient considérés particulièrement importants, pour des raisons arithmétiques générales, et à côté du comptage décimal fut finalement élaboré un système duodécimal complet pour les calculs, dont une partie, comme les mots spéciaux pour 12 (douzaine), 18 et 144 (grosse), étaient d’usage général. »92)
Ainsi, alors que les Elfes avaient un système duodécimal pour les calculs, seule une partie de ses termes étaient d’usage général. Cependant, je ne vois pas quelles « raisons arithmétiques générales » pourraient mener à une préférence pour un système en base 693).
es différents textes traitant des liens entre les noms de la main et des doigts et les numéraux en elfique94) sont à peu près contemporains de « Rivière et collines des feux de Gondor » et il est fort possible qu’ils représentent la tentative de Tolkien de clarifier en détail l’idée que les numéraux devaient à l’origine être des dérivés des mots désignant les doigts. Ces matériaux ne représentent pas un ensemble cohérent, les différents blocs de textes se contredisant mutuellement de façon fréquente, reflétant le fait que Tolkien essaya différentes idées avant de les rejeter tour à tour. Par exemple, tandis qu’un nombre pouvait être dérivé d’un système duodécimal dans un texte, cela est ouvertement nié dans le suivant, où ledit nombre est dérivé d’un système décimal. Néanmoins, ces idées changeantes permettent une étude intéressante de certaines des idées les plus tardives de Tolkien concernant les numéraux.
Une liste (assez) complète des numéraux entre un et douze en sindarin, telerin et quenya, que l’on trouve en VT 48, p. 6 constitue sans doute un bon point de départ :
Sindarin | Quenya | Telerin | |
1 | er, min | er, min | er, min |
2 | tad | atta | tat |
3 | neleð | nelde | nelet |
4 | canad | kanta | canat |
5 | leben | lemen | lepen |
6 | eneg | enque | enec |
7 | odo(g) | otso | otos |
8 | toloð | toldo | |
9 | neder | nerte | neter |
10 | pae | quean (quain) | pai(n) |
11 | minib | minque | minipe |
12 | ýneg | yunque | yūnece |
Les formes sindarines ne sont guère une surprise. Dans cette liste, les numéraux monosyllabiques sont courts (comme dans « Les Étymologies » et à la différence de « Rivières et collines des feux » ci-dessus), et « trois » apparaît comme la forme longue neleð (comme dans « Les Étymologies », à nouveau) plutôt que sous la forme raccourcie nêl. Le fait le plus remarquable est probablement le fait que « cinq » en quenya apparaît désormais sous la formes lemen plutôt que lempe – cela semble indiquer que Tolkien avait finalement décidé de dériver « cinq » d’un radical alternatif LEM. Cependant, contredisant immédiatement cette liste, le VT 47, p. 10 emploie plutôt « cinq » sous les formes sind. leben, q. lempe, tel. lepen.
La même page liste aussi des noms alternatifs pour « cinq » et « dix » en quenya : les q. makwa « cinq » et maquat « paire de cinq, dix »95), fondés sur le comptage de tous les doigts sur une ou deux mains, sont mentionnés en compagnie du nom maquanotie « système décimal de dénombrement »96). En VT 48, p. 11, le mot q. kaistanótie « système décimal » est donné à la place.
Divers radicaux eldarins communs apparaissent dans ces textes. En particulier, les numéraux supérieurs à dix ne permettent guère de doute quant au fait que Tolkien envisageait ici un système en base 10 :
3 | nelede | VT 47, p. 10 |
4 | kan-at | VT 47, p. 12 |
5 | lepem(e) | VT 47, p. 10 |
6 | enek | VT 47, p. 12 |
7 | otos | VT 47, p. 12 |
9 | neter | VT 47, p. 11 |
11 | minikwe | VT 48, p. 21 |
12 | tatakwe | VT 48, p. 21 |
13 | nelekwe | VT 48, p. 21 |
14 | kanakwe | VT 48, p. 21 |
On observe un certain recouvrement avec une liste des numéraux du quenya au-dessus de douze que l’on trouve en VT 48, p. 21 :
13 | nelquea, quainel |
14 | quaican |
15 | lepenque, quailepen |
16 | enenque, quainque |
17 | otoque |
18 | tolokwe |
19 | neterque |
Les formes alternatives dans lesquelles apparaît l’élément quai « dix » au début du mot sont intéressantes. Cela semble prendre à rebours une tradition dans laquelle la plus petite unité est toujours mentionnée en premier. Une alternative intéressant au nombre treize est donnée dans le VT 47, p. 15, où nous apprenons que le q. yunquenta « treize » se dérive en « douze et un de plus », utilisant l’élément enta « un de plus »97).
Il n’existe cependant presque aucune trace d’un système duodécimal. Même le q. yunque « douze » n’est pas une formation particulièrement exceptionnelle, puisque yu- a une longue tradition comme radical pour « deux » et que quean est le mot pour « dix ». Comme dans « Rivières et collines des feux de Gondor », Tolkien estima qu’il lui fallait expliquer cela :
« À une époque (probablement) ultérieure, les Eldar désormais pourvus d’un système numérique fermement établi sur les “décimaux” manuels 5, 10, s’intéressèrent aux sizaines et un mot pour 6 fois 2 (12) était déjà élaboré avant la fin de la période eldarine commune. »98)
« En dépit de leur intérêt […] ultérieurement prédominant dans et pour l’emploi de six-douze (comme unités de groupe) ils ne développèrent pas de nomenclature duodécimale complète, quoiqu’ils inventèrent (après la période eldarine commune pour les nombres supérieurs à 12) des noms spéciaux pour les multiples de six fois six. De ceux-ci, 18 et 24 étaient aussi d’usage quotidien, de même que la “grosse” 144 et 72 la demi-grosse. »99)
Ainsi, alors que les Elfes préféraient calculer par douzaines et par demi-douzaines (comme l’affirme le SdA), ils ne créèrent pas de nomenclature pour ce système. Il est raisonnable de penser qu’existe en vue de tels calculs un mode duodécimal de tengwar ou tout autre système pour écrire les nombres duodécimaux, car il est certain que faire des calculs duodécimaux est excessivement difficile (et inutile) si l’on use de mots et nombres décimaux100).
Le dernier élément d’intérêt notable est une liste des fractions en quenya, que l’on trouve en VT 48, p. 11, lesquelles sont dérivées au moyen de l’élément racine SAT « diviser » :
1/2 | peresta, perta |
1/3 | nelesta, neldesta, nelta, nelsat |
1/4 | kanasta, kasta, kansat |
1/5 | lepesta, lepsat |
1/6 | enquesta |
1/7 | otosta, osta, otsat |
1/8 | tolosta, tosta, tolsat |
1/9 | neresta, nesta, nersat |
1/10 | kaista, kast |
1/11 | minquesta |
1/12 | yunquesta |
Comme le remarque Patrick Wynne dans son analyse de ces formes, la similarité avec les fractions trouvée dans la « Early Qenya Grammar » est remarquable.
a lecture d’un passage cité dans le VT 49, p. 45101), où est discutée la courte expression elen atta « deux étoiles », illustre les idées tardives de Tolkien concernant l’emploi des numéraux. D’après ce texte, « les numéraux suivent le nom, à l’exception de er, qui est indéclinable. »102) On y voit un rôle spécial de « deux » : « le nom est indéclinable […] devant atta qui prend la flexion sing. […] en v[ieux] q[uenya] la flexion duelle est préservée »103).
Noter la différence entre le elen atta tardif et i·satta neri du PE 14, p. 50, où le numéral précède et le nom est au pluriel dans la version manuscrite de la grammaire (mais au singulier dans la version dactylographiée).
Pour les grands nombres, Tolkien laisse deux possibilités : (a) le « nom est au gén[itif] pl[uriel] et les numéraux sont fléchis comme nom s[ingulier] »104) ou alternativement (b) le « nom est décliné et le numéral indéclinable »105) avec l’exemple « trois étoiles » comme s’exprimant alternativement elenion nelde ou eleni nelde, mais la forme fléchie « de trois étoiles » est traduite par elenion neldeo (où le nom compté est au pluriel génitif et la flexion génitive est attribuée au nombre) ou elenion nelde (où le numéral est indéclinable et la flexion génitive est attribuée au nom compté).
La variante dans laquelle le nom compté est au génitif rappelle la construction yúyo nEldalion « deux des elfes » de la « Early Qenya Grammar »106), où le génitif partitif est employé pour le dénombrement. Cependant, noter que l’ordre du nom et du numéral est toujours inversé par rapport aux premières idées de Tolkien107).
n étudiant le développement des différents numéraux du « Qenya Lexicon » à « Eldarin Hands, Fingers and Numerals », en passant par la « Early Qenya Grammar », il est remarquable de noter le peu de modifications qu’ont subis certains numéraux, comme par ex. « trois », qui donna ole à nelde à nelde à nelde ou « six » ende à enqe ou enekse à enqe à enque. Là où on observe un changement substantiel, il advint généralement avant la « Early Qenya Grammar », et l’on a l’impression que pour l’essentiel, le système numérique q(u)enya était déjà fixé dans l’esprit de Tolkien à cette époque. Les exceptions sont des variantes tardives comme yunquenta « treize » ou la forme inversée quainel « treize » que l’on voit dans les derniers textes. Mais on ne sait s’ils représentent autre chose que des idées transitoires. D’un autre côté, la structure du système numérique goldogrin est très différente des formes vues en noldorin. Alors que min et cant seraient reconnaissables par un étudiant du sindarin, il n’en va pas de même pour les autres nombres goldogrins.
On ne peut trouver de preuves en faveur d’un vrai système duodécimal que dans le « Qenya Lexicon ». Bien que Patrick Wynne mentionne des tableaux numéraux duodécimaux non diffusés en VT 47, p. 42, aucun n’a encore été publié, et les écrits ultérieurs publiés de Tolkien traitant des numéraux montrent soit des preuves claires en faveur d’un système décimal ou sont cohérents avec une telle hypothèse. Comment est-il possible de réconcilier cela avec la forte affirmation selon laquelle « les Eldar préféraient dénombrer par douzaines et demi-douzaines autant que possible »108) dans l’Appendice D du SdA ? Il est probable que Tolkien aimait l’idée d’avoir des nombres fossiles dans la langue pour 12, 18 ou 144, et qu’il fonda le système calendaire elfique sur un système duodécimal, mais qu’il n’était pas réellement prêt à convertir l’ensemble du système numérique en duodécimal ; encore moins après qu’il a eu l’idée que les numéraux et les noms des doigts devaient être dérivés des mêmes radicaux. Ainsi, il nous faut supposer que les Elfes employaient un comptage duodécimal dans leur calendrier et lorsqu’ils travaillaient sur des problèmes mathématiques, mais non dans leur langue quotidienne, bien que certains mots vernaculaires fussent influencés par les formes duodécimales. Nous ne connaissons pas grand-chose des mathématiques elfiques, mais il est raisonnable de penser qu’il devait y avoir un système pour écrire les nombres duodécimaux afin de permettre de tels calculs.
La « Early Qenya Grammar » décrit en détail les règles grammaticales assez complexes qui régissent les numéraux et les objets comptés. On ne peut déduire grand-chose des textes ultérieurs. Il est fort possible que l’usage des numéraux en quenya et en sindarin soit d’une complexité similaire, avec des cas et des contraintes sur certains nombres selon les numéraux ou ce genre de choses. Nous ne savons simplement pas si c’est le cas, et ne le saurons peut-être jamais. Néanmoins, à juger de la complexité vue dans la « Early Qenya Grammar », il serait déraisonnable de supposer que la grammaire des numéraux des quenya et sindarin ultérieurs doive nécessairement être simple.
ne grande part de ce travail est tributaire de longues discussions des formes et des références croisées données par Parma Eldalamberon et Vinyar Tengwar. En particulier, j’ai fait bon usage des notes données par Patrick H. Wynne, Carl F. Hostetter and Bill Welden.