«
Les occlusives sourdes demeuraient habituellement inchangées dans toutes les langues, mais en n[oldorin]
et dor[iathrin]
devenaient fréquemment des spirantes dans certaines positions, par l’intermédiaire des aspirées. Le doriath[rin]
et les dialectes ilkorins
apparentés sont caractérisés par un changement particulier p
> ph
et ensuite les ph
originaux et venant de p
> h
(disparaissant souvent en position médiale). Cela n’avait pas lieu en danien. »
1)
Parma Eldamberon 19 —
Comparative Tables —
General Characteristics —
In[itial] Consonants
l’époque où Tolkien concevait le qenya comme langue du Premier Clan des Elfes et le noldorin comme langue propre aux Noldor, importée par eux en Beleriand, l’ilkorin désignait les parlers indigènes de Beleriand, entièrement différents des langues de Valinor, « bien que ceux qui sont versés dans une telle science puissent percevoir qu’ils ont jadis émanés du telerien »2). Ce terme désignait les langues des Ilkorindi, les Teleri qui ne parvinrent pas à Kôr (la future Tirion) au temps des Deux Arbres3). Dans le « Lhammas A », l’ilkorin était ainsi considéré occuper un rang médian entre l’eldarin de Valinor et le lemberin, les langues des Lembi, les Elfes qui refusèrent l’Appel des Valar, dont faisaient alors partie les Danas ou Elfes-verts d’Ossiriand4). La définition de ce terme évolua dans le « Lhammas B », puisque ce texte élevait désormais les Danas au rang d’Eldar (en les appelant parfois Pereldar « Demi-Eldar »5)), et en faisait des Ilkorindi6). Ce changement fit toutefois perdre de sa consistance linguistique à l’ilkorin, puisqu’il incluait désormais sous cette dénomination « les Pereldar et tous ceux qui commencèrent la marche mais n’arrivèrent pas à Kór. »7) Or à cette époque les Danas étaient considérés appartenir au Deuxième Clan des Elfes, et leur langue, le danien, était donc une branche du proto-noldorin8).
Une révision du « Lhammas B » renomma alors Avari les anciens Lembi, ce qui permit à Tolkien d’établir une distinction cruciale : le lemberin (que Tolkien appela plus tard lembarin) devint la langue des Teleri qui furent laissés en Beleriand lorsque la majorité de ce clan choisit de répondre à l’appel d’Ulmo pour se rendre à Valinor. Il se décomposait en deux dialectes principaux : le doriathrin ou doriathren, que parlaient les sujets de Thingol en Doriath, et le falassien ou falathrin des ports de Brithombar et Eglorest9). La phonologie du falathrin semble dès l’origine avoir été assez proche du doriathrin (contrairement au futur sindarin septentrional). L’un des rares exemples mentionnant une divergence entre falathrin et ilkorin est le nom Ariador (ilk. Argador), terme qui désignait les terres « en-dehors de la barrière », i.e. hors de Doriath10). L’ilkorin (ou alkorin, ainsi que Tolkien le nomma tardivement11)) quant à lui n’était plus qu’un terme vague couvrant l’ensemble des langues des Eldar s’étant arrêtés sur le chemin de Valinor, même s’il était souvent employé comme équivalent de lemberin par abus de langage12). La plupart des toponymes de Beleriand étaient donc d’origine lemberine :
«
Lemberin [→
Lembarin]
: aussi appelé
ilkorin [c’]était la langue des Teleri qui demeurèrent en Beleriand. Avant le retour des
Noldor, elle était largement usitée en
Beleriand (sauf en
Ossiriand) et les noms des lieux, des rivières, des bois, des champs, des plaines, des collines et des montagnes étaient donnés dans cette langue. Nombre de ceux-ci furent utilisés par les
Noldor ; d’autres perdurèrent à côté des nouveaux noms noldorins. »
13)
i la terminologie tarda à se fixer, l’histoire de l’ilkorin ne subit guère de changements majeurs. À leur retour en Beleriand, les Noldor rapportèrent tant leur propre langue que le qenya. Ce dernier retrouva bientôt le rôle de lingua franca entre les différentes tribus elfiques qu’il avait déjà à Valinor et « vint à être usité par tous les Ilkorins »14). Le noldorin fut considérablement influencé par l’ilkorin, en particulier par le dialecte doriathrin15), et subit à un moindre titre l’influence de la langue des Edain et du parler d’Angband et des Orques16). Divers mots ilkorins passèrent ainsi dans le vocabulaire noldorin, comme brith « gravier », que l’on retrouve dans le nom de la rivière Brithon17), ou cuen « mouette », dérivé de l’ilk. cwẽn, qui remplaça le terme noldorin historique †poen, qui était devenu archaïque18). L’ilkorin subit aussi une influence en retour, rapprochant le style et la phonologie des deux langues19), mais pâtit de la concurrence du noldorin. Il ne resta florissant que dans les Falas et en Doriath, les seules contrées qui restèrent sous domination telerine lorsque Morgoth commença à assaillir le Beleriand :
« Après la venue des
Noldor, le parler
lemberin [→
lembarin] demeura usité, sauf pour des compagnies dispersées, principalement sur la Côte Ouest dans les havres des
Falas et dans le fort royaume de Thingol,
Doriath au mitan de
Beleriand. Le
doriathren est la langue lemberine [→ lembarine] dont on conserve le plus de récits et de mémoire. »
20)
L’ilkorin était toutefois supposé avoir eu une influence durable en Terre du Milieu. Dans le « Lammasethen », le taliska est dit être « d’origine quendienne » et est classé parmi les langues ilkorines21), le « Lhammas B » précisant que le taliska est à l’origine de langues qui sont toujours parlées dans le nord de la Terre22). À cela, la première version de l’Appendice sur les langues du SdA ajoutait :
« Au-delà des Monts Brumeux se trouvent toujours des Eldar qui emploient la langue lemberine [→ telerienne]. Il en allait ainsi du peuple du royaume-elfe du Mirkwood septentrional, d’où venait Legolas. Le lemberin [→ telerien] était aussi la langue native de Celeborn et des Elfes de la terre cachée de Lórien. Le parler commun n’y était connu que de quelques-uns, car ces gens s’écartaient rarement de leurs frontières.
Les noms elfiques qui apparaissent dans ce livre [le
SdA] sont principalement de forme noldorine, mais certains sont lemberins [→ teleriens], les principaux étant [
ajouté : Thranduil,]
Legolas,
Lórien,
Caras Galadhon,
Nimrodel,
Amroth, et aussi les noms de la Maison de Dol Amroth :
Finduilas, [
ajouté : Adrahil,] et
Imrahil. »
23)
u cours de la rédaction du SdA, Tolkien renomma sindarin la langue des Lembi ou Sindar de Beleriand, le terme Ilkorindi étant remplacé par Alamanyar, qui ne faisait aucune référence à une langue spécifique24). Mais peu de temps après, lors de la rédaction des Appendices, Tolkien vint à changer radicalement sa conception de l’histoire des langues elfiques. Il décida que les Ñoldor de Valinor parlaient en fait le quenya au même titre que leurs cousins Vanyar et que la langue aux sonorités galloises qu’il avait développé était en fait indigène au Beleriand : le noldorin fut donc renommé sindarin ! Le vieil ilkorin, qui avait certes été développé de façon significative dans « Les Étymologies », mais à un degré bien moindre que le noldorin, disparut purement et simplement de cette nouvelle conception.
De nombreux noms ilkorins furent de ce fait abandonnés, comme Radhrost « Val de l’Est »25), alternative ilkorine au terme noldorin Thargelion, désignant la terre « au-delà du Gelion »26) D’autres changèrent de signification, comme Thingol, qui dans les Étym. est supposé être un composé ilk. thind « gris » + gôl « sage »27), mais fut plus tard réinterprété comme signifiant « gris-manteau »28) en sindarin, ou Eglath, le nom que s’attribuèrent les Elfes telerins de Beleriand, équivalent d’Eldar dans les Étym.29), mais dont la signification finale est « les Abandonnés »30). Plus surprenant, un grand nombre de noms initialement considérés comme ilkorins par Tolkien furent conservés en tant que noms sindarins, comme Beleg, l’ami de Túrin31), ou Mablung32) de Doriath. Il en va de même de nombreux toponymes de Beleriand, comme les rivières Adurant33) et Gelion34) ou la région de Dorthonion35). Dans son article sur l’ilkorin, Helge Fauskanger fait l’hypothèse que c’est la réticence de Tolkien à se défaire de noms bien implantés dans son Légendaire qui le poussa à incorporer ceux-ci dans le sindarin lorsque cette langue remplaça l’ilkorin dans son rôle de langue indigène de Beleriand. Cette intrusion de noms ilkorins n’alla pas sans influencer la phonologie du noldorin, ce qui poussa Fauskanger à déclarer que « le sindarin que nous connaissons par les sources plus tardives ressemble par certains points à l’ancien “noldorin” avec un substrat ilkorin ! »36)
La toute première mention de l’ilkorin dans les Contes perdus en faisait la langue des « Elfes sombres », sans distinguer entre ceux qui refusèrent de quitter la région de Koivië-néni et les Qendi qui se perdirent au cours de la marche vers les côtes occidentales des Grandes Terres. L’ilkorin était alors considéré comme la langue elfique ayant le moins changé depuis les origines.37) C’était la langue que parlait Nuin, l’Elfe sombre de Palisor, qui contrevint aux instructions du magicien Tû et réveilla Ermon et Elmir, deux des dormeurs humains de Murmenalda, le « Val du Sommeil »38). S’apercevant qu’ils étaient dénués de parole et fort effrayés, il leur enseigna l’ilkorin, y gagnant le surnom de « Père de la Parole »39).
Les premiers mots ilkorins attestés sont tirés des « Noldorin Word-lists » et du « Noldorin Dictionary », publiés dans le PE 13 et contemporains du « Lai des Enfants de Húrin »40). Ils n’apparaissent qu’incidemment, dans des entrées proposant des termes apparentés aux mots noldorins, par exemple :
« [nold.] daw !, chut, soit silencieux. (* da’a en dā:, q. tá. Tel dá, ilk. þah.) » 41)
À cette époque, le terme Ilkorindi désignait toujours indifféremment Elfes ayant refusé l’Appel des Valar que Qendi s’étant égarés au cours de la Marche. Ce n’est que dans les « Nouvelles Annales de Valinor » que cette distinction fut faite, contemporainement à la première version du Lhammas42).
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vant la révision finale du « Qenya Lexicon », deux entrées y faisaient référence à une langue nommée teleakta ou teleatka. Lors d’une révision, la première entrée fut considérablement enrichie et le nom « teleakta » fut remplacé par « ilkorin ». La partie de la seconde entrée faisant référence au « teleatka » fut biffée :
«
Areandor (ou :
areanóre) nom d’un district montagneux, la demeure du Peuple de l’Ombre. - Mais mot prob[ablement] d’origine teleakta [→ ilkorine], [?ancien]
Aryador. »
43)
«
*Harẇalien or
-in =
hambanan. (Teleatka
Habbanan.) une région aux frontières de
Valinor.
ha (proche),
valar (les Valar). »
44)
Malheureusement, l’absence d’informations complémentaires concernant le teleakta ne permet guère d’en dire plus à son propos, d’autant que les Contes perdus n’y font pas référence et que le QL ne contient quasiment aucune indication concernant l’ilkorin. Le terme qenya akta « notion, conception », dérivé de ‘AHA « savoir », qui apparaît en PE 12, p. 29, ne semble guère susceptible d’expliquer l’étymologie du nom teleakta.
Damien Bador — Juillet 2010
La section 8 de l’article « Ilkorin: a “lost tongue”? » de Helge Fauskanger reprenait un court essai d’Édouard Kloczko, intitulé « Ilkorin and North Sindarin (Mithrim) » et publié dans le Tyalië Tyelelliéva nº 9, d’octobre 1996. Selon Kloczko, il est possible de mettre en regard les différences entre le vocabulaire ilkorin et noldorin des « Étymologies » avec les nuances phonologiques différenciant le mithrimin du sindarin classique.
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