Cet élément a été publié dans le magazine
L'Arc et le Heaume n°3 - Númenor.
Articles de synthèse : Ces articles permettent d'avoir une vue d'ensemble du thème traité mais ils nécessitent une bonne connaissance des principales œuvres de J.R.R Tolkien. |
L’arbre, souvenir des Eldar et de la lumière de Valinor, fut planté à Minas Ithil devant la demeure d’Isildur1).
De Númenor après sa submersion, il ne reste plus qu’une poignée de Fidèles, neuf navires, sept pierres et un Arbre Blanc. Marque d’une fuite et d’un royaume perdu à jamais, ils finissent par se perdre petit à petit, par s’amoindrir, par disparaître… Mais l’Arbre Blanc demeure. Et c’est à cet Arbre que nous allons nous attacher dans cette étude, afin de mettre en lumière comment il est passé, de « simple » objet d’ornementation, au symbole d’une lignée royale et le garant de sa pérennité !
Cet arbre a un statut unique chez Tolkien : il est le seul à posséder… un arbre généalogique, de la même façon que les rois. Et cette lignée ne remonterait à rien de moins que Telperion2), l’Arbre de la lumière d’argent, créé par Yavanna. De Galathilion, l’arbre initial de la cour de Tirion, créé à l’image de Telperion (à moins qu’il n’en soit le fruit, les textes ne sont pas très clairs à ce sujet), à l’Arbre Blanc de la cour de Minas Tirith, des millénaires auront passé, sans que l’Arbre ne se perde, ni le respect qu’on lui porte.
Car cet arbre, qui ne possède pas d’utilité propre — il n’a pas de propriété médicinale, ne sert pas à faire de bateau, et a encore moins de propriétés de chauffe3) —, est devenu, à un moment de son histoire, porteur d’un symbolisme très fort, si fort qu’il deviendra l’emblème d’un puissant royaume.
Et par la grâce d’une simple prophétie à laquelle on porta créance, prononcée bien des millénaires avant la fin du Troisième Âge, c’est la trouvaille de son dernier rejeton qui permettra de consacrer le Retour du Roi en Terre du Milieu, dernière épreuve pour celui-ci avant la réalisation de son souhait le plus cher4)…
Cet élément a été publié dans le magazine
L'Arc et le Heaume n°3 - Númenor.
L’expression « Arbre Blanc » est en réalité un nom générique, appliquée à toute une lignée descendant de Telperion, l’Aîné des Arbres créé par Yavanna. En 1142 A.A.5), Yavanna créa pour les Elfes de Túna Galathilion, « L’Arbre Blanc de la Lune », à la semblance de Telperion, que les Teleri et les Ñoldor préféraient. D’après la Quenta Silmarillion, il s’agirait d’une « réplique plus petite de l’Arbre Blanc » ; les Annales d’Aman6) affirment aussi que Galathilion est une « image de l’Arbre Telperion », une image plus petite, mais ne différant de Telperion que par le fait qu’il ne donnait pas de lumière par lui-même.
Cet Arbre prospéra à la cour de Túna et donna de nombreux rejetons, dont l’un fut repiqué à Eressëa et nommé Celeborn, « l’Arbre d’Argent ». Celui-ci prospéra à son tour, et donna Nimloth7), l’Arbre Blanc de Númenor, offert aux Númenóréens par les Elfes en 877 du Second Âge à l’occasion du mariage d’Aldarion et Erendis, et dont le nom signifie « Fleur blanche ». À partir de là, l’Arbre Blanc passe aux mains des Hommes et son nom n’est plus changé.
Nimloth fut planté dans les jardins d’Armenelos, au pied du Meneltarma, et vécut jusqu’à ce qu’Ar-Pharazôn se tourne vers l’adoration de Morgoth. Sauron le convainquit alors de brûler l’Arbre Blanc dans le temple construit sur la montagne. Mais Isildur parvint à en sauver un fruit. Béni par Amandil, il grandit en secret chez les Fidèles à Rómenna. Lors de la destruction de Númenor, les Fidèles l’emportèrent dans leur fuite et il devint l’Arbre Blanc du Gondor.
Isildur le fit pousser d’abord à Minas Ithil, en 3320 ; mais la cité fut prise en 3420 du Second Âge, et Sauron détruisit l’Arbre Blanc de nouveau. Isildur parvint cependant, encore une fois, à fuir la forteresse avec une pousse de l’arbre. Il la planta en l’an 2 du Troisième Âge (après la Bataille de la Dernière Alliance) à Minas Anor (devenue par la suite Minas Tirith), dans la cour de la Fontaine, en l’honneur de son frère Anárion tué au combat8). Cet arbre eut une vie bien plus longue, mais finit par mourir en 1636 du Troisième Âge, quand la Grande Peste emporta le roi Telemnar et ses enfants.
Le pouvoir passa aux mains de Tarondor qui enfouit une graine de l’arbre à Minas Tirith en 1640, au même endroit que le précédent9). Ce troisième arbre du Gondor mourut en même temps que Belecthor II, Intendant du Gondor, en 2872 du Troisième Âge10). Aucune pousse ne fut retrouvée et l’Arbre resta sec dans la cour de la Fontaine, jusqu’à ce qu’Aragorn, le 25 juin 3019, découvre un plant de l’Arbre Blanc dans la neige du mont Mindolluin11). Il le repiquera à Minas Tirith.
Telperion avait « des feuilles d’un vert foncé aux revers d’argent scintillant ; et il portait des fleurs blanches comme le cerisier, d’où ruisselait une rosée de lumière argentée » (La Route perdue, « Quenta Silmarillion », §15, p. 239). Les autres Arbres Blancs étaient en tout point semblables, et les Contes et légendes inachevés nous donnent d’autres indications : « ils donnèrent un jeune arbre dont l’écorce était d’un blanc de neige, et le tronc droit, vigoureux et souple comme de l’acier ».
Dans l’« Akallabêth », il est dit que « ses fleurs s’épanouissaient au crépuscule et venaient parfumer les ombres de la nuit ». Le texte « Aldarion et Erendis » indique aussi que, « soumis au lent rythme de croissance des Elfes, il n’avait atteint qu’une douzaine de pieds, et il se dressait tout droit, élancé et juvénile, et, en cette saison, couvert de bourgeons qui allaient s’épanouir en fleurs hivernales sur des branches dressées vers le ciel. » Cette floraison hivernale entre cependant en contradiction avec l’« Akallabêth » du Silmarillion, où il est dit que « Nimloth ne brillait pas et ne portait aucune fleur, car c’était la fin de l’automne et l’hiver approchait12) »… L’affirmation est encore plus claire dans le Seigneur des Anneaux :
Il vit que, du bord même de la neige, jaillissait un tout jeune arbre, qui n’avait pas plus de trois pieds de haut. Il avait déjà poussé de jeunes feuilles, longues et bien faites, sombres sur le dessus et argentées par en dessous, et à son mince sommet il portait un petit trochet de fleurs aux pétales brillants comme la neige au soleil. […] quand vint le mois de juin, l’arbre était couvert de fleurs13).
Quant à savoir si les fleurs des Arbres Blancs émettent de la lumière ou non, les sources sont contradictoires. Notons que The Peoples of Middle-earth mentionne que « les ombres de la nuit disparaissaient quand Nimloth était en fleur » (ma traduction) et que dans les premières versions du Seigneur des Anneau, Aragorn chante « la lumière sur l’Arbre d’Argent / [qui] tombe comme de la pluie dans les jardins du Roi d’antan14) ». Il s’agit de la première référence à l’Arbre Blanc, alors nommé Arbre d’Argent ; et la mention de la lumière tombant comme une pluie sur l’Arbre est une réminiscence évidente de la rosée de lumière argentée de Telperion15).
Nous avons donc un arbre tenant à la fois du bouleau — pour son tronc blanc, lisse et souple — et du cerisier — pour ses fleurs blanches et parfumées. Les boutons n’éclosent qu’au soleil couchant, même si les fleurs restent épanouies toute la journée ; les mentions d’une lueur ou lumière qu’elles émettraient sont à prendre avec précaution : il s’agit probablement d’une licence poétique — un brin de lune suffit pour illuminer un cerisier en fleur en pleine nuit, de même qu’un rayon de soleil fera scintiller l’eau de la Fontaine gouttant des branches de l’Arbre Blanc. Il est d’ailleurs précisé que Galathilion, le premier des Arbres Blancs issus de Telperion, ne produisait pas de lumière — alors qu’il a été créé par Yavanna même. Au Troisième Âge tout du moins, il est certain que l’Arbre Blanc ne fleurit qu’en été, ce qui convient à un arbre à feuilles caduques. Il porte des fruits en automne, qui peuvent être semés — s’ils viennent à maturité, ce qui est rare d’après Gandalf — et qui ont une capacité de germination extraordinairement longue. L’Arbre Blanc se reproduit aussi par drageons, qui peuvent être repiqués — à noter pourtant que cette pratique ne semble pas avoir eu cours, les drageons n’ayant été « exploités » que lorsque l’Arbre Blanc lui-même était menacé de destruction.
Les données recueillies plus haut nous indiquent que tout, dans l’arbre, renvoie à la blancheur, et à la lumière. C’est un trait qu’il partage avec le bouleau, qui, chez Tolkien, est associé à Elbereth, l’Enflammeuse d’Étoiles16). Et c’est un trait qui le rapproche des Elfes — les Elfes, qui des deux Arbres préfèrent Telperion ; les Elfes, qui errent dans le crépuscule, à la lumière des étoiles.
L’Arbre Blanc, don des Premiers Nés à Aldarion et Erendis, est là pour rappeler aux Hommes leur amitié avec les Elfes, souvenir physique et concret de leurs échanges passés. Cet aspect-là de son symbolisme sera renforcé quand Sauron s’acharnera à le faire détruire, ne pouvant laisser vivant un arbre donné par les Elfes, et créé par Yavanna.
Proche du bouleau, l’Arbre Blanc a cependant d’autres facettes symboliques qu’un renvoi à la lumière argentée, aux étoiles et aux Elfes. Tout d’abord, il a été créé par Yavanna. Alors qu’Elbereth relève de la première fonction dumézilienne — le caractère sacré, céleste, Yavanna, elle, relève de la troisième fonction — abondance et fertilité. La description qui est faite d’elle quand elle revêt sa forme d’arbre ne laisse aucun doute.
Certains l’ont vue se tenant tel un arbre sous le paradis, couronné du Soleil ; et de toutes ses branches gouttait une rosée dorée sur une terre stérile, et il poussait là de l’herbe et des épis ; mais les racines de l’arbre baignaient dans les eaux d’Ulmo et les vents de Manwë parlaient dans ses feuilles17).
De la même façon, les fleurs des Deux Arbres produisent une rosée lumineuse, de laquelle ils doivent être arrosés :
[…] ces arbres [devaient] être arrosés de lumière pour avoir de la sève et vivre, pourtant de par leur croissance et leur être ils fabriquaient sans cesse de la lumière en grande abondance par- dessus et au-delà de ce que leurs racines aspiraient […]18)
Bien des Âges plus tard, au Gondor, l’arbre de la Cour reproduira le même schéma :
Une douce fontaine jouait là dans le soleil matinal, entourée d’un gazon verdoyant, mais au milieu, retombant au-dessus du bassin, se dressait un arbre mort, et les gouttes coulaient tristement de ses branches stériles et brisées dans l’eau claire19).
Le pied dans l’eau, l’arbre est entouré d’herbe, et pleure des gouttes — mais ici, l’arbre est stérile sur une terre verdoyante, alors que Yavanna fertilise une terre stérile, et que les Deux Arbres illuminent Arda.
S’appuyant en sus sur des sources linguistiques, Wynne et Gilson concluent que Tolkien a voulu, par ce motif récurrent, faire de Yavanna / les Deux Arbres / l’Arbre Blanc, les ancêtres mythologiques d’Yggdrasil, la « vérité originelle » assourdie ensuite par le mythe, de la même façon que la Submersion de Númenor aurait donné le mythe grec de l’Atlantide20).
Une des caractéristiques de l’Arbre Blanc est d’être unique : on n’en voit jamais deux en même temps, et quand l’un meurt, il y a toujours un scion ou un fruit à être sauvé. L’arbre est planté près du lieu d’exercice du Roi. Par conséquent, planter un Arbre Blanc, à la longévité si extraordinaire, est un acte symbolique fort, une façon de dire « Ici est ma terre, ici vivra ma lignée »… ou, comme le proclama Elendil, « En ce lieu, je me fixerai, moi et mes héritiers, jusqu’à la fin du monde21) ».
De simple cadeau et lien d’amitié avec les Elfes, il devient un lien entre les générations humaines à partir du moment où Tar-Palantir, par sa prophétie22), en fait aussi le signe de sa lignée. Plus tard, il deviendra tout naturellement l’emblème des Fidèles, de la lignée des Rois de Númenor loyaux envers les Elfes et les Seigneurs de l’Ouest. L’acharnement de Sauron à le détruire23) renforcera d’autant la volonté d’Isildur, fils d’Elendil, de le sauver. Et par une convection symbolique, le destin de l’un dépendra de celui de l’autre : l’arbre deviendra, de façon effective, le garant de la santé physique d’Isildur. Blessé mortellement alors qu’il tentait de sauver l’arbre, Isildur ne guérira que lorsque le fruit aura donné une pousse. C’est la première fois que la santé de l’héritier royal est liée à la santé de l’Arbre24), et depuis lors, les deux lignées, humaines et végétales, seront liées.
Quand Belecthor II meurt, l’Arbre fait de même25). Une main anonyme aura cependant pris soin de sauver un fruit de l’Arbre et de le planter dans un lieu qui sera oublié pendant plus d’un millénaire… tout comme les héritiers d’Isildur resteront cachés et tâcheront de se faire oublier. Et signe solitaire26) d’une promesse de victoire contre le Noir Ennemi, une petite pousse grandira seule, isolée dans la montagne, pendant sept ans27), inconnue du monde, avant qu’Aragorn II ne la retrouve, avec l’aide de Gandalf.
Le lien entre la santé de l’Arbre, la pérennité de la lignée d’Isildur et la force du Royaume est joliment illustré par cette phrase de Faramir : « Pour ma part, […] j’aimerais voir l’Arbre Blanc fleurir de nouveau dans la cour des rois, revenir la Couronne d’Argent et Minas Tirith en paix28). » Par un effet de miroir, il verra d’abord venir la paix, puis le rétablissement du Roi, mais quant à l’Arbre Blanc… Même après avoir reconquis son trône et défait les forces mordoriennes, Aragorn reste au désespoir :
Moi aussi je deviendrai vieux. Qui, alors, gouvernera le Gondor et ceux qui regardent vers cette Cité comme vers leur reine, si mon désir n’est pas exaucé ? L’Arbre de la Cour de la Fontaine est encore desséché et stérile. Quand verrai-je un signe qu’il doive jamais être autrement29) ?
Gandalf conduit alors le nouveau Roi, de nuit, en secret, sur le Mont Mindolluin… et le signe favorable sera trouvé par Aragorn. Gandalf, bien qu’il ait eu l’intuition du lieu où le trouver, ignore cependant quand le fruit de Nimloth fut planté, et par qui. À la lumière de ce que l’on a vu précédemment, et à l’instar de Mads Holgersen30), on peut affirmer l’action d’une main royale… Le caractère sacré de l’Arbre a déjà été démontré, et il n’est pas étonnant que sa survie soit redevable des Rois seuls. Le Mindolluin, nous apprend Gandalf, est un lieu consacré, et cet endroit l’est en particulier : c’est ici que le Roi, et le Roi seul, rendait grâce à Eru au nom de son peuple31). C’est donc un héritier d’Elendil qui recueillit un fruit de Nimloth et l’enterra en ce lieu sacré32), dominant Minas Tirith, et sur les pentes duquel s’étend Rath Dínen, où sont enterrés les Rois et les Intendants.
Aragorn en ramènera le baliveau et le repiquera dans la Cour de la Fontaine. Son prédécesseur sera enterré avec tous les honneurs dus à un souverain33). Le mariage sera célébré dans la liesse, car dans cette renaissance de l’Arbre « souvenir de la Lumière de Valinor » peut être vu un signe divin, la bénédiction des Valar pour ce nouvel Âge34). Et de nouveau,
[…] Entre les Montagnes et la Mer Le vent souffle, la lune passe, et la lumière sur l’Arbre d’Argent tombe comme de la pluie dans les jardins du Roi d’antan.
Nous vous invitons par ailleurs à discuter de ce travail sur le sujet dédié du forum Tolkiendil.