« Arnach
, si l’explication ci-dessus est acceptée, n’est alors pas apparenté avec Arnen
. Son origine et sa source sont dans ce cas désormais perdues. Il était généralement appelé Lossarnach
au Gondor. Loss
est le sindarin pour “neige”, particulièrement manteau neigeux tombé depuis longtemps. Pour quelle raison cela fut préfixé à Arnach est peu clair. Ses vallées hautes étaient renommées pour leurs fleurs et en dessous se trouvaient de grands vergers, d’où venaient toujours la plupart des fruits consommés à Minas Tirith à l’époque de la Guerre de l’Anneau. »
1)
es langues parlées au Gondor et dans les régions avoisinantes avant le retour des Númenóriens en Terre du Milieu sont très mal connues. Outre la langue parlée par la tribu de Tal-Elmar, étudiée dans un article de Roman Rausch, il devait en exister au moins une autre, dont ne subsistent que quelques noms propres. L’Appendice F du SdA cite la plupart d’entre eux :
« Quelques-uns étaient d’origine oubliée et descendaient indubitablement des jours d’antan, avant que les navires des Númenóriens ne sillonnent la Mer ;
Umbar,
Arnach et
Erech en faisaient partie, ainsi que les noms des montagnes
Eilenach et
Rimmon.
Forlong était aussi un nom du même genre. »
2)
À cette liste on peut ajouter Eilenaer, l’ancien nom du Halifirien3), Erelas, un autre des Feux d’alarme de Gondor4), Lamedon, une région gondorienne proche d’Erech5) et Adorn, un affluent de l’Isen6)7). Il est intéressant de constater qu’à l’exception d’Umbar, tous ces noms se trouvent à proximité de l’Ered Nimrais8), aussi faudrait-il peut-être plutôt parler de langue nimraïque. Aucune précision n’est fournie par Tolkien sur l’histoire ou les locuteurs de cette langue. Étant donné toutefois qu’Isildur apporta la Pierre d’Erech de Númenor9), il peut paraître étrange qu’elle se soit vue attribué un nom qui n’est ni elfique ni adûnaïque. Il est possible qu’Erech ait été le nom du lieu avant qu’Isildur n’y installe la pierre ou que celle-ci se soit vue attribué ce nom à l’occasion du serment du roi local d’aider Isildur dans la lutte contre Sauron10). Dans les deux cas, ce nom semble étroitement associé aux Hommes des Montagnes, dont les spectres demeuraient encore sous le Dwimorberg à l’époque de la guerre de l’Anneau. Il est possible que les autres noms gondoriens antiques aient la même origine, à l’exception probable d’Umbar. Cela n’est toutefois qu’une hypothèse, car seuls les noms Eilenach et Eilenaer sont explicitement signalés être apparentés11).
On peut encore noter que l’Appendice F du SdA suggère un lien de parenté entre les Dunlendings et les Hommes des Montagnes, ce qui laisserait supposer que le gondorien antique ait été apparenté au halethien12). Bien que la phonologie des quelques mots attestés dans cette langue soit ne ressemble pas à ce que l’on connaît des langues halethiennes, le corpus attesté de part et d’autre est bien trop petit pour qu’on puisse en tirer des conclusions valables. On ignore aussi quand le gondorien antique cessa d’être parlé, mais il est probable que ce ne fut guère postérieur à la disparition des Hommes des Montagnes, au début du Troisième Âge. Il est peu probable que les Númenóriens se soient jamais intéressés à cette langue, puisqu’on ne dispose d’aucune certitude sur la signification des rares noms gondoriens antiques attestés. En dépit de cette ignorance, il est probable que la cohabitation avec les habitants indigènes ait été relativement pacifique, comme en témoigne le nombre de toponymes anciens conservés. Le nom de Forlong témoigne même de mariages entre les deux communautés.
elon toute apparence, la plupart des immigrants númenóriens ne comprenaient pas la langue gondorienne antique13), ce qui suggère qu’il ne s’agissait pas d’une langue apparentée au hadorien14). Les Númenóriens cherchèrent donc à sindariser certains de ces noms, comme Eilenach, « mieux orthographié Eilienach », car « [e]n sindarin authentique, eilen pourrait seulement être dérivé d’*elyen, *alyen et serait normalement écrit eilien. »15) Plusieurs autres noms, comme Erech16), Adorn17) ou Erelas18) sont dits avoir été adaptés à la phonologie du sindarin, mais être dénués de signification dans cette langue, ce qui permet d’ailleurs de déduire leur origine pré-númenórienne. Il en va probablement de même pour Rimmon, puisque seuls les feux d’alarme Eilenach et Eilenaer possèdent un nom dont on a la certitude qu’il était pré-númenórien19). On ignore hélas les formes originelles des noms ainsi modifiés. Les Númenóriens n’hésitèrent pas à utiliser les noms locaux en leur affixant divers éléments sindarins, comme dans Lossarnach (du sind. loss « neige, manteau neigeux » ; VT 42, p. 18), Min-rimmon (sind. min « pic » ; UT, Index) et même Belfalas (sind. falas « côte »). Ce dernier cas était assez particulier, car l’élément bel est lui-même sindarin et signifie « escarpé ». Il venait des Sindar qui s’étaient installés non loin de Dol Amroth après avoir fui la destruction du Beleriand20).
Aucune traduction n’étant attestée, il n’est pas possible de dire grand-chose sur la signification des noms gondoriens antiques. Dans la mesure où Tolkien précise que l’Eilenach et l’Eilenaer étaient tous deux des reliefs remarquables des Montagnes Blanches21), il est fort possible que le préfixe eilen(a)- signifie « montagne ». Si l’on admet que la Pierre d’Erech ait pu être ainsi nommée à l’occasion du serment qui fut prêté dessus, erech pourrait signifier « promesse, serment », mais rien d’est moins sûr22). Enfin, Tolkien affirme que « Les suggestions des historiens de Gondor qu’arn- soit un élément signifiant “rocher” dans une langue pré-numenoréenne est [sic] pure supposition. »23) En effet, Arnach désignait la région vallonnée entre Celos et Erui, qui n’était guère plus rocheuse que les autres vallées des Montagnes Blanches24).
Dans les brouillons se trouvent divers antécédents aux noms gondoriens antiques listés ici, quoi qu’il soit impossible de dire si Tolkien envisageait déjà qu’ils puissent être d’origine pré-númenórienne. Ainsi avant d’être celui d’un seigneur de Gondor, Forlong était le nom de Gandalf « dans le Sud », ultérieurement changé en Fornold25), avant que Tolkien n’opte pour Incánus26). Avant la modification de l’ordre des Feux d’alarme, la forêt de Drúadan était appelée Taur-rimmon, d’après le nom de sa principale éminence rocheuse27). Les Havres d’Umbar étaient initialement nommés Umbor28).
Belfalas fut un temps considéré comme un composé mixte dont bel- (aussi orthographié Bêl) aurait été un élément pré-númenórien, Tolkien suggérant même qu’il aurait pu signifier « côte » et désigner la région de Dor-en-Ernil. Belfalas aurait ainsi été une tautologie. Cette explication fut ultérieurement revue quand Tolkien décida que l’élément Bel- était aussi d’origine sindarine29).
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J.R.R. Tolkien — Juillet 2001, édité et annoté par Carl F. Hostetter, traduit de l’anglais par Damien Bador
Cet essai historique et étymologique, uniquement intitulé « Nomenclature » par son auteur, appartient à un ensemble de textes similaires datés d’environ 1967–1969 par Christopher Tolkien (PM, p. 293–294), qui inclut « Of Dwarves and Men », « The Shibboleth of Fëanor » et « L’Histoire de Galadriel et Celeborn », qui furent publiés, en tout ou partie, dans Contes et légendes inachevés et The Peoples of Middle-earth. De fait, Christopher Tolkien donna de nombreux extraits de cet essai dans les Contes et légendes inachevés. Il prépara une présentation plus complète de ce texte pour The Peoples of Middle-earth, mais elle fut exclue de ce volume pour des raisons de place.
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