Lien vers l’essai : Bombadil dans la Comté
Commentaire de Damien Bador :
La présente traduction d’Elvet-isle s’écarte volontairement de celle de Dashiell Hedayat, « Île-aux-Elfes », qui commet justement l’erreur signalée ici. On notera toutefois que les cygnes sont fréquemment associés aux Elfes — et en particulier aux Lindar — dans le Légendaire de Tolkien, allant jusqu’à donner son nom au grand port des Teleri à Valinor et à inspirer la forme de leurs navires. Cela n’est peut-être pas sans rapport avec la proximité des mots ælf « Elfe » et elfetu « cygne » en vieil anglais. Le jeu de mot de l’original se perd malheureusement à la traduction.
Pour le Withywindle, la traduction de Francis Ledoux a été conservée, car elle correspond parfaitement aux intentions de Tolkien à ce sujet, comme l’indique le « Guide to the Names of The Lord of the Rings » (GN) :
« Withywindle. Nom d’un cours d’eau de la Vieille Forêt, supposée être dans la langue de la Comté. Il s’agissait d’une rivière sinueuse bordée de saules (withies “osiers”). Withy- n’est pas rare dans les toponymes angl., mais en réalité –windle n’est pas attesté (withywindle fut modelé d’après withywind, un nom du convolvulus ou liseron). Une invention faite d’éléments appropriés dans la l[angue de] t[raduction] serait désirable. Excellent dans la version néerlandaise Wilgewinde (avec wilg = angl. willow “saule”]). Je ne comprends pas la version suéd[oise] Vittespring. Des mots apparentés à withy se trouvent dans les langues scand[inaves] ; l’all. Weide l’est également. »1)
Commentaire de Damien Bador :
Pour le Withy-weir, il fallait trouver un nom qui rappelle celui du Withywindle « Tournesaule » tout en s’efforçant de conserver l’allitération entre les deux composants. Le terme weir vient du vieil anglais wer « barrage, digue », dérivé d’une racine germanique *wer, war signifiant « garder, protéger ». Malheureusement, les solutions de Stéphanie Loubechine, « Digue d’osier », et de Dashiell Hedayat, « Barrage d’osier » perdaient le lien avec la rivière principale, tandis que « Barrage du Saule », de Céline Leroy, manquait de poésie. J’ai donc préféré la « Claie de Saule », qui possède une saveur un peu plus archaïque.
Céline Leroy traduit hythe par « débarcadère », tandis que Stéphanie Loubechine utilise le terme de « môle », alors que ce mot renvoie en fait à un lieu permettant d’échouer un bateau, plutôt qu’à une construction permettant de l’amarrer en pleine eau. L’« échouerie » est un toponyme assez bien attesté au Québec pour désigner un lieu propice à l’échouement des navires ou des animaux marins ; c’est donc ce qui semblait le plus approprié.
Pour rendre Grindwall, qui contient le vieux norrois grind « clôture à barreaux », il fallait éviter un terme utilisant « claie », puisque Tolkien s’était gardé de faire le lien avec le Withywindle. C’est pourquoi j’ai écarté « Murclaie », qu’avait adopté Stéphanie Loubechine,. La solution de Céline Leroy, « Le Mur de la Grille », était une fois de plus trop prosaïque et explicite, tandis que celle de Dashiell Hedayat, « Murmoulu », se fourvoyait en considérant que ce nom dérivait du verbe anglais to grind « moudre, broyer ». Je me suis donc rabattu sur « Le Plessis-Mur », dont le premier composant est un toponyme très répandu en France, apparaissant souvent en composition avec un autre terme (généralement un nom de personne). Cela a l’avantage de correspondre précisément à la signification de l’original et à souligner la redondance. Une plaisse est un mot dialectal dérivé de l’ancien français plesce qui signifie « haie, clôture de branches entrelacées formant barrière », du latin populaire *plaxum « haie ». Le suffixe –is vient probablement du celtique *-(i)āko-, dénotant un lieu.
Commentaire de Damien Bador :
Comme Breredon est à peu près incompréhensible en anglais et que sa phonologie correspond assez bien à la langue française, j’ai fait choix de ne pas traduire ce nom, à la suite de Francis Ledoux.
Pour l’orthographe Haysend, une traduction « Finhaie » aurait pu être plus appropriée. J’ai cependant jugé plus sage de conserver le nom mentionné sur la traduction de la carte de la Comté dans le SdA, vu que sa signification est respectée, même si cela a pour conséquence de créer une variabilité du nom plus importante que la simple présence ou nom d’un tiret dans Hays(-)end.
Commentaire de Damien Bador :
Dans les notes de Tolkien à son traducteur néerlandais, citées par Hammond et Scull dans le GN, le Professeur indique que le nom du Shirebourn « n’a rien à voir avec “La Comté” […] Il représente un vrai nom de rivière, l’ancien Scire-burna “brillante-source” ou “brillant-cours” »2). Bref, un parfait faux ami. Nonobstant, Dashiell Hedayat le traduit par « Borne du Comté », Céline Leroy et Stéphanie Loubechine par « Rivière-de-la-Comté » et Jean-Rodolphe Turlin suggère « Claireborne » ou « Viveborne ». J’ai tendance à penser que l’étymologie voulue par Tolkien devrait primer sur les jeux de mots, d’autant que la note de Tolkien semble indiquer une inclinaison semblable de sa part. Néanmoins, j’espère avoir réussi à maintenir un certain équilibre entre l’étymologie réelle et l’étymologie populaire voulues par Tolkien, même si c’est par un chemin assez détourné.
« Obrupt » est formé à partir d’ob « blanc », descendant du lat. alba, lui-même dérivé du ligure albis, de même signification, attesté dans plusieurs toponymes français. Un rupt ou ru, rio(t) est un synonyme quelque peu désuet de ruisseau. C’est un terme qui apparaît fréquemment dans les noms de torrents en Lorraine ou dans les Vosges. Le nom que j’ai forgé cherche à évoquer « abrupt », en partant du fait que l’élément -bourne de la VO est apparenté au got. brunna « saut, bond ». Le calembour sur « Comté » se retrouve en traduisant the Mithe par « Conté » (on pourrait aussi prendre « Contes » ou « Le Conte »), dérivé du gaulois *cond « confluent », que l’on voit notamment dans le toponyme Condate, de même signification. L’extrait des ATB devient alors « À Conté, l’embouchure de l’Obrupt, se trouvait […] », préservant plus ou moins le jeu de mot original.
Deephallow est habituellement traduit par « Fondtombe » en effectuant une décomposition simple de ce nom. Mais dans les notes à son traducteur flamand, Tolkien nota que Deephallow « n’a pas une étymologie claire (par dessein — c’est le cas de beaucoup de noms !) »3). Hammond et Scull précisent que ce toponyme contient probablement l’élément vieil anglais –hall ou –healh « renfoncement, un terrain à moitié enclos (par des pentes, des bois ou un méandre) » (Reader, p. 950-951). Je trouve préférable d’adopter « Grandcroix », le deuxième élément de ce nom se retrouvant dans certains toponymes français, comme dérivé du bas latin croso « creux ».
Les traducteurs laissent généralement Stock tel quel, en dépit d’une phonologie peu adaptée au français, du fait que ce terme n’est pas inclus dans le GN et ne devrait donc pas être traduit, si l’on prenait à la lettre l’affirmation de Tolkien à ce sujet. C’est une décision malheureuse, car la seule signification de ce terme dans notre langue ne saurait être celle que Tolkien voulait lui donner, comme l’explique Allan Turner dans Translating Tolkien, p. 91-92, critiquant à ce propos le choix de Francis Ledoux. Le mot employé par Tolkien descend directement du v. angl. stoc(c) « tronc, pièce de bois, poteau », et signifie « tronc ou souche d’un arbre ou buisson vivant, en particulier si une bouture y a été insérée » . Il est apparenté à l’ancien bas-francique *stok « souche, tronc d’arbre », qui donna en français « estoc », de même signification. C’est donc ce dernier terme qui a été adopté ici, même si l’ambiguïté repose sur une signification alternative différente de l’original.
Commentaire de Damien Bador :
Pour Bamfurlong, la traduction du SdA convient fort bien, même si elle peu sembler moderne comparée à l’original. En effet, le GN nous dit :
« Bamfurlong. Un toponyme anglais, probablement de bean “haricot” et furlong (dans le sens d’une subdivision d’un champ communautaire), le nom étant donné à un emplacement habituellement réservé aux haricots. Ce nom est désormais sans signification claire, et est supposé tel à cette époque dans la Comté. C’est le nom de la ferme du Fermier Maggotte. Le traduire comme il semble approprié, mais un composé contenant le nom pour “haricot” et celui pour “champ, terrain cultivé” semblerait désirable. »4)
La traduction de Maggot’s Lane a été conservée, étant donné que le nom du fermier n’est pas traduit dans le SdA et serait autrement peu compréhensible. C’est d’ailleurs ce que Tolkien suggère de faire dans le GN :
« Maggot. Supposé être un nom “sans signification”, de sonorité hobbite. (Il s’agit en fait d’un accident que maggot “asticot” soit un mot angl. = “ver, larve”. La traduction néerlandaise a Van der Made (made = all. Made, v. angl. made “asticot”), mais il est probablement préférable de laisser le mot tel quel, comme dans la traduction suéd[oise], bien qu’une certaine harmonisation au style du SdA serait appropriée. »5)
La traduction de Rushey par Francis Ledoux, « Soldur », semble en revanche peu appropriée. Le GN donne effectivement une explication qui n’a que peu de rapport avec cette traduction :
« Rushey. “Isle des roseaux” ; à l’origine une “grève” parmi les fondrières du Maresque. L’élément –ey, -y dans le sens “petite île” (= suédois ö, danois ø, vieux norrois ey) est très fréquent dans les toponymes anglais. L’équivalent allemand est Aue “terre en bord de rivière, prairie inondable”, qui ne serait pas inapproprié dans ce cas. »6)
La traduction des ATB par Céline Leroy donne un terme plus proche du sens, « Joncquisle », mais dont la phonologie semble bien peu convaincante et évoque plutôt la jonquille7). La solution « Les Rouches », émise par Jean-Rodolphe Turlin et adoptée par Stéphanie Loubechine est attrayante : la rouche est un terme dialectal apparenté à rush et désigne la massette, une plante des marais. Cependant, ce nom ne retient pas la notion d’île, je préfère donc Rouchant, qui intègre le suffixe –ham, dérivé ici de l’ancien bas-francique *hamma, désignant une langue de terre en zone inondable selon Denise Poulet, Noms de lieux du Nord-Pas-de-Calais, p. 64.